Revenir au site

Dépasser les seuls intérêts humains pour la construction d’un droit environnemental

| Benoît Piveteau, Fellow de l’Institut Open Diplomacy

27 janvier 2021

Lors de la journée consacrée au thème « Partager la Terre » des Rencontres du Développement Durable, Virginie Salmen, journaliste à Europe 1, a modéré une table-ronde intitulée « Partager la Terre, rendons la justice », qui a rassemblée Clémentine Baldon, Avocate et experte associée auprès du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme, Emilie Gaillard, Maître de conférences à Sciences Po Rennes, Coordinatrice générale de la Chaire « Normandie pour la paix » et Hélène N’Garnim-Ganga, Directrice du département Transitions Politiques et Citoyennes de l’Agence française de Développement.

Des grands projets d’exploitation massives de ressources naturelles aux images marquantes des accidents industriels, nous avons tous à l’esprit aujourd’hui les conséquences dramatiques que peuvent avoir les activités humaines sur l’environnement. La destruction des écosystèmes à large échelle fait émerger la nécessité d’adapter le droit à tous ses niveaux pour protéger notre planète.

La multiplication des acteurs, des grandes entreprises aux Etats, impose également cette réflexion nouvelle car elle engendre un changement d’échelle et des rapports de force entre les entités en présence. Tout n’est cependant pas à inventer, la relecture des droits fondamentaux à la lumière des considérations écologiques est une bonne piste comme le souligne Emilie Gaillard, maître de conférences en droit.

La construction d’un droit environnemental fort passe par différents relais, de l'implication et de la pression des citoyens au niveau local, jusqu’à l’échelle internationale multilatérale en passant par les acteurs nationaux et régionaux.

Des initiatives citoyennes innovantes et multiples

Aujourd’hui, alors que nous entrons dans la décennie de l’action, les Français s’approprient les problématiques écologiques et climatiques en s’engageant ; les questions de juridiction n’échappent pas à ce mouvement. C’est pour répondre à cette volonté d’implication dans le processus législatif des citoyens que la Convention Citoyenne pour le Climat a ravivé ce débat en France avec la proposition d’instauration du crime d’écocide. Les citoyens engagés dans l’expérience de cette Convention en soulignent le caractère enrichissant tout en soulevant des inquiétudes quant à la mise en œuvre des résultats de cette concertation. Si l’exercice est noble, quand en verrons-nous les résultats concrets ?

La mobilisation citoyenne après des scandales comme celui du drame de Rana Plaza au Bangladesh en 2013 qui avait fait plus de 1100 morts et 2000 blessés a permis de mettre en place des lois qui engagent les entreprises sur le chemin de la responsabilité sociale et environnementale. Clémentine Baldon le rappelle : « le drame du Rana Plaza a été un détonateur pour la société civile et a permis de mettre au cœur du débat pour les grands groupes ainsi qu’à leurs filiales et sous-traitants à l’étranger le respect des droits humains et de l’environnement ». L’implication de la société civile, notamment par l’intermédiaire des ONG, permet de mettre en évidence les manquements des entreprises par le « name and shame ».

Des mécanismes similaires, qui connaissent un engouement partagé dans les populations, se mettent en place contre les puissances étatiques à l’image de « l’Affaire du Siècle ». Dans cette affaire des associations attaquent la France en justice pour dénoncer son inaction sur le plan climatique. Le Conseil d’Etat a donné trois mois au gouvernement français pour prouver qu’il respecte bien ses engagements climatiques. Une démarche civile qui, si elle n’a pas encore totalement abouti, a trouvé résonance dans les institutions judiciaires nationales, et pour laquelle l’Etat va devoir rendre des comptes.

La société civile est un des acteurs de cette justice environnementale, mais le financement de la transition est aussi une question majeure, ce qui confère une place centrale aux institutions de développement.

La place des institutions de développement

Le rôle des institutions de développement, à l’image de l’Agence Française de Développement, est d’accompagner les pays lors de leur croissance économique, pour promouvoir un développement socialement juste et écologiquement respectueux tout en ne niant pas le droit des pays du Sud à un développement équivalent à ceux du Nord.

Les institutions de développement ont aussi un rôle à jouer dans l’accompagnement des Etats et des entreprises dans leur transition. Elles permettent de lutter contre l’usage excessif des arbitrages confidentiels entre multinationales et Etats pour régler des différends (notamment sur la protection des écosystèmes) ou encore contre la création de concession de terres et de ressources aux profits d’intérêts privés dans des échelles de temps et d’espace trop importantes.

Les moyens juridiques des pays du Sud sont parfois largement inférieurs à ceux dont disposent les grandes multinationales des pays du Nord. Pourtant, Hélène N’Garnim-Ganga entrevoit certaines pistes, porteuses d’espoir, à l’image de l’African Support Legal Facility qui aide les États à renégocier des contrats miniers et des concessions. Le but étant de créer un équilibre dans les moyens juridiques pour les négociations entre États et grandes entreprises et permet de remettre en cause des mauvaises décisions pour l’environnement prises par le passé.

Cela peut donner le sentiment d’une justice coûteuse et opaque, qui serait in fine un frein majeur pour la protection de l’environnement. Ces situations se produisent régulièrement dans le domaine des énergies et des industries extractives.

La primauté du droit économique international, en particulier les aspects relatifs aux investissements internationaux, apparaissent donc comme un obstacle au déploiement de la justice environnementale. Pour pallier ce problème, Emilie Gaillard rappelle que l’on peut privilégier l’usage d’outils existants : la charte de l’environnement, la convention des droits de l’Homme...

Les limites d’un multilatéralisme à l’arrêt

Il apparaît nécessaire d’appréhender les questions environnementales à l’échelle internationale car la nature est un bien commun mais aussi parce que les écosystèmes ne s’arrêtent pas aux frontières physiques des Etats. Pour répondre à cette problématique globale, privilégier la méthode multilatérale semble être la réponse logique.

La justice environnementale est une thématique qui se trouve au centre des débats internationaux depuis le G20 de Rio en 2012. Pourtant Hélène N’Garnim-Ganga le souligne : dans une période ou la covid nous rappelle l’universalité de la condition humaine face aux maladies, le multilatéralisme est en panne.

S’appuyer sur les approches culturelles de la question environnementale peut être une manière de donner un second souffle au multilatéralisme : envisager de faire de la nature un objet de droit positif et veiller à la bonne application des lois et des règlements en vigueur est un début.

Pour conclure, il apparaît que la question de la construction d’un cadre juridique adapté à la protection de l’environnement et du climat doit s’appuyer à la fois sur des outils déjà existants, et sur différents acteurs à différentes échelles. Ce nécessaire travail - commun - pourra nous permettre d’appréhender la diversité des situations, tout en rééquilibrant le rapport de force entre Sud et Nord par exemple.