Revenir au site

Parce que paix et climat, même combat

| Hugo Batardy, Fellow de l’Institut Open Diplomacy

27 janvier 2021

Le 28 septembre 2020 a eu lieu lors de la journée « Recycler l’économie » des Rencontres du Développement Durable un échange particulièrement riche entre Bertrand Badie, Professeur émérite à Sciences Po spécialiste des Relations Internationales, et Gilles Bœuf, Biologiste, Professeur à la Sorbonne et ancien Président du Muséum d’Histoire Naturelle. Animé par Thomas Friang, Directeur Général de l’Institut Open Diplomacy, cet échange a permis de mettre en lumière le caractère interdépendant des nouvelles menaces climatiques, sanitaires, environnementales… et propose une sortie par le haut : un multilatéralisme plus intelligent fondé sur la confiance, associé à une redéfinition des relations entre l’humain et le vivant.

La crise de la covid l’a rappelé au monde avec pertes et fracas : la détérioration du vivant d’origine humaine peut être à l’origine d’une crise systémique aux conséquences dramatiques. Gilles Bœuf nous le dit : la transmission d’un virus d’une chauve-souris à l’humain est un phénomène qui ne devrait pas se produire. Si cela a lieu, c’est parce que la biodiversité est maltraitée. Or, cette maltraitance peut-être à l’origine de crises systémiques, semblable à celle que nous connaissons actuellement : à la fois sanitaire, environnementale, économique, sociale et politique.

La menace a changé de nature

Ces crises systémiques font que les relations internationales d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. En effet, nous dit Bertrand Badie, les liens entre Etats étaient jadis dominés par les figures du diplomate et du soldat. Ce « monde d’hier » était caractérisé par la rivalité entre puissances ennemies, qui se faisaient parfois la guerre. Aujourd’hui, la, ou plutôt les menaces ont changé de nature. Elles ne viennent plus du « char russe », selon le Professeur, mais de fléaux globaux : le changement climatique, un virus ou encore la famine. Ces menaces, qui s’ancrent dans les dynamiques sociales de la mondialisation, sont autrement plus dangereuses que l’ennemi d’autrefois. Les morts liés au changement climatique sont et seront de plus en plus nombreux, tandis que la faim dans le monde continue de prendre de l’ampleur, le phénomène étant bien loin de décroître.

Or, le monde est de plus en plus vulnérable à ces nouvelles menaces. Les chiffres sont particulièrement éloquents : 75 % des écosystèmes terrestres sont aujourd’hui affectés par l’activité humaine. Selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature - UICN, il faudrait plusieurs millions d’années pour retrouver le niveau de biodiversité qui précède la 6ème extinction de masse que l’on connaît actuellement.

Pour résumer : les crises d’aujourd’hui sont systémiques, particulièrement complexes, et ne sont plus « internationales » au sens westphalien du terme, mais plutôt « inter-sociales ».

L’incapacité du système multilatéral à appréhender les nouvelles menaces

Malheureusement, le système multilatéral et ses acteurs ne semblent pas avoir changé de logiciel pour pouvoir appréhender ces nouvelles menaces. La récente période de pandémie l’a montré : les institutions multilatérales ont éprouvées de grandes difficultés à parler d’une seule voix et à prendre des mesures efficaces.

Par exemple, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies n’a pas été en mesure de produire une Résolution sur la crise de la covid. Même constat pour le changement climatique : alors qu’ont lieu tous les ans des débats sur le sujet, le Conseil de Sécurité peine à l’introduire comme objet de sécurité collective. Cela s’explique par le fait que les grandes puissances ne souhaitent pas politiser la guerre et reconnaître les phénomènes inter-sociaux inhérents à ces nouvelles menaces, de peur de perdre la main sur le cours des affaires internationales.

Or, comme le démontre Gilles Bœuf, une réponse multilatérale est essentielle si l’on veut éviter les conflits – entre Etats cette fois-ci – générés par ces nouvelles menaces. L’exemple de la pêche est parlant : alors que les ressources halieutiques présentent l’intérêt majeur de pouvoir se régénérer naturellement si l’on respecte certains seuils, l’absence d’un système international de gestion efficace des stocks entraîne leur destruction. 60 % des aires marines ont subi l’empreinte humaine responsable d’une perte de biodiversité. Cette « tragédie des communs » être source de tensions entre Etats, notamment sur le partage des Zones Économiques Exclusives – ZEE.

Bâtir la confiance mutuelle, et repenser nos relations avec le vivant

Il est dès lors indispensable que transparaissent dans les politiques publiques des Etats la compréhension de ces crises comme étant systémiques et intimement liées aux niveaux sanitaires, économiques, climatiques et alimentaires. Pour cela, introduire des concepts comme celui de « sécurité humaine » ou « inter-socialité » à la grammaire des relations internationales pourrait être salvateur afin d’être plus en prise avec la réalité. L’enjeu majeur aujourd’hui est en effet que les grandes puissances comprennent que des termes comme « sécurité nationale », « souveraineté » ou « frontière » méritent d’être repensés. Pour le Professeur Bertrand Badie, les relations internationales de demain, si l’on ne veut pas courir à la catastrophe, doivent être fondées sur la confiance et le respect mutuel : cela passera par la construction de politiques publiques communes.

Repenser le système : l’enjeu est le même pour les relations de l’humain avec la nature et le vivant. L’extinction de masse évoquée plus haut le montre bien : alors que les populations d’animaux sauvages s’effondrent, les populations d’animaux domestiques explosent. Alors qu’il y a plusieurs milliers d’années la masse des humains et de leurs animaux domestiques représentait 0.1 % de la masse des mammifères connues, ce chiffre est désormais de plus de 90 %. Or, cela n’est pas anodin : l’élevage de bétail, surtout les bovins, est responsable d’environ 15% des émissions de GES dans le monde. En cause : la production et la transformation des aliments pour les bêtes, la fermentation entérique, le stockage et le traitement du fumier, le transport... Par ailleurs, l’élevage est responsable de déforestation et de dégradation des forêts, notamment en Amazonie. Ce qui pose évidemment la question de notre consommation de viande.

Les deux intervenants l’espèrent : la covid sera peut-être l’électrochoc nécessaire pour transformer notre manière de vivre ensemble et de consommer. Cela passera par la construction – l’invention ? – d’une mondialisation plus réglementée, qui encadre consommation et exploitation, et gouvernée par la confiance au niveau international, fondement de l’inter-socialité. Ou, pour reprendre la formule de Gilles Bœuf, « le leitmotiv d’aujourd’hui doit être : tous ensemble, avec du vivant ». C’est à ces conditions que la multiplication des conflits liés aux nouvelles menaces pourra être évitée.