Revenir au site

La Covid-19, catalyseur d’une transition plus juste, plus rapide et plus forte

Maxime Batandéo

12 octobre 2020

Lors de la journée consacrée au thème “Transformer le capitalisme” des Rencontres du Développement Durable s’est tenue une Masterclass durant laquelle Gabriela Ramos, Directrice générale adjointe de l’UNESCO, ancienne Sherpa de l’OCDE au G20 et Muhammad Yunus, Lauréat du Prix Nobel de la Paix 2006 et fondateur de la Grameen Bank, ont dressé un constat clinique de la situation d’urgence climatique et sociale dans laquelle nous nous trouvons. Ils ont envoyé à ce titre un message d’appel à l’action immédiate et vigoureuse.

La Covid-19, révélateur des failles structurelles du modèle actuel

La Covid-19 est partout. De la France au Bangladesh, il n’épargne personne. La Covid-19 est durable. En l’absence d’un vaccin ou de traitements efficaces, difficile d’envisager l’extinction d’un fléau qui a causé la mort de plus d’un million de personnes à travers le monde.

Nous pourrions considérer la crise sanitaire comme une parenthèse dans l’Histoire et les désordres qui l’accompagnent, l’explosion des inégalités, l’accroissement de la précarité, comme conjoncturels. Force est de constater que le mal est plus profond et se situe à la racine de nos sociétés. Autrement dit, la Covid-19 agit comme un révélateur cinglant des faiblesses structurelles de notre système. Le Professeur Muhammad Yunus les énonce sans ambiguïté : “concentration des richesses, chômage de masse, sous-alimentation, extrême pauvreté.

Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s‘est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil” disait Salomon dans le Livre de l’Ecclésiaste. Alors qu’hier, nous pouvions encore nous draper d’un voile d’illusion pour continuer à jouir pleinement de nos existences, aujourd’hui, il ne nous est plus possible de détourner le regard. Il ne s’agit plus de quelques centaines de millions d’habitants concentrés dans des pays que beaucoup ne sauraient situer sur une carte, mais bien de milliards d’individus vivant partout à travers le monde. En effet, selon la Banque mondiale, en raison de la Covid-19, entre 70 et 100 millions de personnes pourraient basculer dans l’extrême pauvreté dans les prochains mois, s’ajoutant ainsi aux 700 millions vivant déjà avec moins de 1,90 € par jour. En fin pédagogue, le professeur Yunus nous interpelle sur les causes sous-jacentes de ce constat : “Peut-on sincèrement s’étonner lorsque l’on sait que 1 % de la population concentre 99 % des richesses ? Comment ne pas s’indigner à l’idée qu’une personne sur deux à travers le monde vit avec moins de 5,50 € par jour ?

La fracture entre ceux qui bénéficient du système et ceux qui en sont les perdants est devenue critique. Les premiers voient dans la distanciation sociale une opportunité. Pour gagner toujours plus. Pour concentrer toujours plus de richesses. Les derniers sont les premiers à mourir, touchés de plein fouet par la crise sanitaire. Risquant les premiers de perdre leur emploi et donc leurs revenus si ce n’est leur couverture sociale, ils subissent un déclassement insupportable. Muhammad Yunus nous avertit : “ils étaient sous vos yeux depuis toujours. Ils sont dorénavant trop nombreux pour être ignorés.”

Les entreprises mises au banc des accusés ?

Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme disait : “Une idéologie est précisément ce que son nom indique : la logique d’une idée“ . Pour Muhammad Yunus, il est incontestable que le capitalisme est une idéologie. En consacrant le profit comme valeur cardinale de nos entreprises et de nos sociétés, elle a donné libre cours à des activités exploitant nos écosystèmes sans se soucier de leurs impacts néfastes sur l’environnement et les êtres humains. Le réchauffement et surtout le changement climatique n’en seraient donc que la conséquence directe. Selon un rapport du Carbon Disclosure Project (CDP), 100 entreprises à travers le monde seraient responsables de 71 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1988. Muhammad Yunus ne dit rien d’autre que cela lorsqu’il affirme : “les responsables du réchauffement climatique sont les entreprises. Nous savons lesquelles et nous savons dans quelle mesure elles contribuent au phénomène.”

Faisant écho à la phrase de Gabriel Sénac de Meilhan : “l’intérêt renferme un poison si actif, si subtil, que dès qu'il vient se joindre à un sentiment, il le corrompt et finit par l'éteindre”, Muhammad Yunus nous rappelle que “guérir les entreprises” sera difficile. Car les germes de la cupidité se terrent partout, notamment dans les salles de classe. Mais changer est un impératif car le changement climatique nous condamne tous à terme. De la France au Bangladesh, nous sommes tous concernés. Les émissions des uns, à Paris, font les réfugiés climatiques des autres, à Dacca. Les enjeux sont désormais bien connus. Nous devons limiter l’élévation de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Or rapport après rapport, le GIEC nous alerte sur le fait que nous sommes encore très loin des objectifs fixés. C’est pourquoi il est fondamental de transformer les entreprises, leur raison d’être et avec elle, leurs missions. La crise actuelle doit être l’occasion d’agir et de penser différemment : “si nous empruntons la même route, nous atteindrons la même destination” (Muhammad Yunus). Si nous appliquons les recettes d’hier, nous aurons les problèmes du monde d’avant : concentration des richesses, chômage et destruction de la planète.

Les Millenials doivent s’engager ici et maintenant

Malgré ce tableau noir, il est encore permis d’espérer : par nos actions individuelles, nous pouvons participer au changement. Dans nos choix de consommation, nous pouvons sélectionner les entreprises selon qu’elles participent à résoudre le problème ou à l’amplifier. Dans nos choix d’entrepreneuriat, nous pouvons concevoir des entreprises qui construisent des solutions. Des entreprises sociales. Qui ne mettent pas le seul profit au centre de leur mission. Des entreprises durables. Qui considèrent que nous n’avons qu’une seule planète. Des entreprises responsables. Qui ont conscience de l’impact de leurs décisions sur les écosystèmes.

Gaston Bachelard, à propos du surhomme tel que Nietzsche le présente, disait : “La volonté nietzschéenne prend appui sur sa propre vitesse. Elle est une accélération du devenir qui n'a pas besoin de matière. Il semble que l'abîme, comme un arc toujours tendu, serve à Nietzsche à lancer ses flèches vers le haut. Près de l'abîme, le destin humain est de tomber. Près de l'abîme, le destin du surhomme est de jaillir, tel un pin vers le ciel bleu.” Nous sommes près de l’abîme et il n’est pas interdit de penser que Muhammad Yunus ait lu Nietzsche lorsqu’il déclare que la génération qui vient est une génération chanceuse. Chanceuse car puissante. Puissante non pas parce que plus intelligente. Mais puissante car maîtrisant la technologie, qui constitue un super pouvoir. Utilisée à bon escient, elle donne espoir à toute une génération en sa capacité à trouver une issue favorable à des problématiques d’une complexité inédite.

Cette nouvelle génération qui émerge est une génération sinon de surhommes, au moins de super-héros, qui doit mettre le défi au coeur de son engagement quotidien. “N’acceptez plus le statu quo. Faîtes ce qui vous ressemble et soyez en phase avec vous-même” conclut le Professeur Muhammad Yunus pour qui il est possible d’atteindre la neutralité carbone et le zéro concentration des richesses. Cela ne dépend plus que de nous. De notre volonté collective à traduire dans nos vies, au quotidien, les Objectifs du développement durable, par l’incitation ou par la contrainte. De notre capacité individuelle, d’une part, à adopter un état d’esprit plus conscient, plus engagé, plus responsable, d’autre part, à prendre des décisions dans nos vies personnelle comme professionnelle, qui soient alignées avec nos valeurs profondes. L’enjeu est clair : il en va de la survie de l’humanité.