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Réduire la fracture territoriale pour conduire une transition juste

| Juliette Marceaux, Fellow de l’Institut Open Diplomacy

24 novembre 2020

Lors de la journée consacrée au thème “Conduire une transition juste” des Rencontres du Développement Durable, Justine Sagot, journaliste à LCI, a modéré une table-ronde qui a rassemblé Alexandre Asselineau, Professeur en management stratégique et Directeur de la recherche à Burgundy School of Business, Sébastien Bourdin, Géographe, Professeur et Doyen délégué à la recherche de l’EM Normandie, Christophe Bultel, Administrateur du Comité 21, Marta de Cidrac, Sénatrice et Secrétaire de la commission de l'Aménagement du territoire et du Développement durable élue depuis les Rencontres Vice-présidente et Gilles Vermot Desroches, Senior Vice-président chargé du développement durable de Schneider Electric.

Les conséquences du désordre climatique ne seront pas les mêmes selon que l’on habite à Metz ou à Nantes : des étés brûlants aux tempêtes plus violentes et plus fréquentes, nous ne ferons pas face au même défi. Pas plus que l’adaptation à la crise climatique ne comporte les mêmes risques, la transition écologique n’offre pas les mêmes opportunités à tous les territoires. Dans une France déjà fracturée par des inégalités territoriales fortes, comment pouvons-nous prévoir un avenir plus solidaire entre les Régions du pays ?

Réduire la fracture territoriale par la transition numérique et la transition écologique

Alors que la crise de la Covid-19 a entraîné une massification sans précédent du télétravail et que la 5G polarise le débat public, la question de la connectivité des territoires est aujourd’hui centrale. La transition numérique est, en effet, indispensable à l’attractivité des territoires pour les particuliers comme les entreprises. Pour Gilles Vermot Desroches, Senior Vice-président chargé du développement durable de Schneider Electric, l’engouement récent pour le travail à distance se conjugue à une logique plus profonde, qui est celle d’une appétence pour un mode de vie plus circulaire que linéaire, plus accessible dans les territoires que dans les métropoles. Le numérique, à cet égard, est un levier sans précédent pour une transition juste, puisqu’il permet de concilier les aspirations professionnelles et personnelles de ceux qui sont aujourd’hui des urbains.

L’enjeu du numérique n’est pas seulement relatif au travail à distance dans le secteur tertiaire : il concerne aussi le secteur industriel. Pour Gilles Vermot Desroches, l'envie des urbains d’aller vivre à la campagne sera certainement massifiée par la présence d’emplois industriels, aujourd’hui initiée avec les 148 « territoires d’industrie ».

La transition écologique constitue également une opportunité immense pour revaloriser les territoires. Sébastien Bourdin, géographe, Professeur et Doyen délégué à la recherche de l’EM Normandie, se penche notamment sur la méthanisation comme « parfait exemple de ce que l’on pourrait appeler l’économie circulaire et de la reterritorialisation de la production énergétique ». En effet, il s’agit de se servir des ressources du territoire, en l’occurrence les déchets agricoles, pour créer de nouvelles ressources - du biogaz, de la chaleur, de l'électricité ou du digestat. Cela change la donne pour les agriculteurs notamment, qui peuvent désormais diversifier et pérenniser leur activité en devenant producteur de gaz renouvelable, bénéficiant ainsi d’un revenu complémentaire stable pendant plus de dix ans.

Christophe Bultel, Administrateur du Comité 21, rappelle ainsi que d’importantes stratégies de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été menées, sans que les politiques d’adaptation dans les territoires soient déployées. Les agriculteurs étant les premiers témoins des difficultés engendrées par le changement climatique, l’accompagnement par les pouvoirs publics locaux est ici crucial.

Décentraliser pour recréer une excellence spécifique à chaque territoire

Alexandre Asselineau, Professeur en management stratégique et Directeur de la recherche à Burgundy School of Business, parle de « fatalisme territorial » pour analyser notre perception des territoires que nous considérons communément comme défavorisés, notamment sur le plan du numérique et des services publics. En sortant d’une logique de compensation vis-à-vis des métropoles, il est possible pour les acteurs privés comme pour les pouvoirs publics de réduire la fracture territoriale. C’est d’ailleurs l’équité territoriale, plus que l’égalité territoriale, qui guide les réflexions des intervenants.

La conception homogène de ces territoires dits défavorisés est ainsi partie prenante de leur dévalorisation. La confiance à l’égard des élus locaux est, à ce titre, fondamentale : parce qu’ils connaissent les besoins et les ressources de leur territoire, ils sont les plus à même d’adopter des solutions efficaces et vertueuses. Sébastien Bourdin souligne ainsi le caractère indispensable de « politiques sensibles au territoire », prenant en compte chaque particularité. Aucun projet ne se duplique : imposer des politiques par le haut ou en faire des copier-coller d’un territoire à l’autre ne fonctionne pas pour revaloriser les territoires, et peut générer des conflits entre les différents acteurs. Faire confiance aux collectivités territoriales pour mettre en place une véritable gouvernance est ainsi un élément majeur de la résorption de la fracture territoriale.

Marta de Cidrac abonde en ce sens, notamment en mobilisant l’exemple du Puy-de-Dôme. A deux pas du siège historique de Volvic, se sont en effet installées l’entreprise Carbios et sa filiale Carbiolice, qui recyclent le plastique à l’infini. Cette création de synergies, d'émulations propres à un écosystème, constitue un exemple concret d’un territoire dont les élus ont cultivé le potentiel des spécificités pour créer une véritable excellence industrielle. Ce parcours vertueux illustre en quoi « la centralisation est caduque », selon les mots d’Alexandre Asselineau.

Concertation, coordination et cohérence au cœur de la revalorisation des territoires

Les outils que nous avons à disposition pour lutter contre le fatalisme territorial, pour recréer les conditions favorables et attractives de la vie hors des métropoles, ne relèvent pas seulement des infrastructures numériques ou de transport, ni d’une décentralisation réglementaire. Cela repose aussi sur des éléments non-quantifiables, relevant de la coordination entre acteurs publics et privés qui créent une logique d’ensemble. Christophe Bultel évoque l’exemple de la ville de Nantes, en tant que « ville résiliente » ayant développé une véritable capacité d’anticipation et une vision collective grâce à la mobilisation des citoyens et à un management à même de gérer la complexité.

La pédagogie est, à cet égard, une méthode indispensable pour prévenir les conflits locaux, devenus classiques dans le cadre de la mise en œuvre de projets énergétiques suscitant des réticences au sein de la population. A nouveau, une gouvernance locale s’avère ici fondamentale, notamment à l’heure où nous devons intégrer les territoires dans les plans de relance européen et national. Pour Marta de Cidrac, un projet d’une telle complexité entraîne un besoin de cohérence et de clarté : un objectif n’est commun que si l’on explique précisément la raison d’une mesure. C’est donc un ensemble de d’infrastructures et de mesures, ainsi qu’un état d’esprit moins jacobin, qui sont au cœur d’une revalorisation des territoires et d’une « restructuration d’une chaîne trop centralisée », selon Marta de Cidrac.