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Et si pour reprendre la main sur la mondialisation, il fallait la tendre ?

| Aymeric Faure, Fellow de l’Institut Open Diplomacy

4 janvier 2021

Lors de la journée consacrée au thème « Agir à temps » des Rencontres du Développement Durable, Mathilde Gracia de France Info TV a modéré une table-ronde sur le thème « Agir à temps, reprenons la main » qui a rassemblé Fabrice Bonnifet, Directeur du développement durable du groupe Bouygues et Président du C3D, Frédéric Micheau, Directeur des études d’opinion d’OpinionWay, Magali Reghezza-Zitt, Membre du Haut Conseil pour le Climat, Co-Directrice du CERES, Mario Sander, Représentant spécial et Directeur pour l’Europe du groupe Banque mondiale et Marie-Pierre Vedrenne, Députée européenne, Vice-présidente de la commission du Commerce international.

Cinq personnalités d’univers complémentaires ont apporté des réponses et ouvert des réflexions sur le degré de contrôle que nos sociétés dans leur ensemble et sur des phénomènes pouvant paraître vertigineux et inéluctables tels que le changement climatique, la transition écologique ou la mondialisation. A l’heure où la pandémie de COVID-19 frappe le monde d’une violente deuxième vague, nous faisons face à un double défi : les effets du changement climatique sont d’ores et déjà constatables, nous devons nous y adapter ; et nous devons également agir pour atténuer les conséquences futures, renforcer la résilience des plus vulnérables et intensifier les efforts de solidarité pour ne laisser personne sur le bord du chemin.

L’action par la prise de conscience

Magali Reghezza-Zitt a introduit son intervention en mentionnant la perméabilité des enfants aux enjeux du développement durable ainsi que le rôle clé des enseignants dans la transmission de ces questions. Le monde de l'éducation joue en effet un rôle clé dans la prise de conscience des jeunes générations. Pour autant, la sensibilisation et le changement progressif des comportements ne se limitent pas au monde de l’enseignement.

Le discours de Rio en 1992, celui de Johannesburg en 2002, le Grenelle de l’Environnement, les COP et particulièrement la COP-21... ont rythmé une trentaine d’années de sédimentation progressive de ces questions complexes dans l’opinion publique. Selon le directeur des enquêtes d’opinion d’OpinionWay, Frédéric Micheau, deux tiers de la population française considèrent aujourd’hui que le changement climatique est une priorité et ce, dans tous les segments de la population. Ce chiffre est en progression constante depuis plusieurs années, malgré le fait que les questions climatiques demeurent complexes.

L’effort de pédagogie doit être accompagné d’un ensemble d’indicateurs permettant aux acteurs politiques, économiques et civils de mieux comprendre et mesurer l’ampleur des problèmes, de mieux appréhender l’impact des efforts fournis et de mieux saisir la dimension des changements à entreprendre. A ce titre, le Collège des Directeurs du Développement Durable - C3D réunissant des responsables de plusieurs entreprises, réfléchit à des instruments qui permettront d’offrir une meilleure vision de la réalité et de l’impact de leurs entreprises sur l’environnement. Le modèle du triple capital (capital financier, humain et naturel) a notamment été évoqué comme une méthode permettant de prendre en compte au passif du bilan comptable les matières premières utilisées afin de se « resynchroniser au vivant » comme l’a souligné Fabrice Bonnifet, Directeur du développement durable du groupe Bouygues et Président du C3D.

Les indicateurs alternatifs de croissance et de création de valeur ont pour objectif de traduire l’impact environnemental en donnée concrète et saisissable par chaque acteur pour qu’ils puissent mettre en place des actions et ajuster de manière tangible leurs comportements.

Une simple prise de conscience est limitée par l’ampleur et la complexité de ces questions. En ce sens, les enquêtes d’opinion pourraient compléter les indicateurs de prise de conscience d’enjeux par une étude approfondie des changements effectifs de comportements. Même si les chiffres de prise de conscience ont progressé ces dernières années, même si nombre d’Etats ont mis le dérèglement climatique au cœur de l’agenda des discussions internationales, les changements réels de comportement demeurent toujours insuffisants.

Il s’agit là de la principale limite de nombreux régimes de gouvernance globale comme peuvent l’être la biodiversité, le changement climatique, la déforestation, les droits de l’Homme et tant d’autres. Ils ont un rôle positif mais se limitent à n’être qu’une scène internationale facilitant les échanges d’idées : il manque ainsi un aspect concret et pratique à nombre de régimes.

L’action par la solidarité

Il a été souligné par Magali Reghezza-Zitt que les populations les plus fragiles sont à la fois les plus vulnérables aux effets du changement climatique et les plus impactées par les politiques d’atténuation et d’adaptation, que ce soit en termes d’accès à la mobilité, à l’énergie, au logement, et par ricochet à l’emploi, à l’éducation, ou encore à la santé. Un ensemble de mesures d’accompagnement sont nécessaires afin de ne pas creuser les inégalités. Cela est vrai à l’échelle locale comme à l’échelle du monde.

Ce devoir de solidarité est incarné par plusieurs acteurs internationaux. Mario Sander, Représentant spécial et Directeur pour l’Europe du groupe Banque Mondiale, a démontré le rôle que joue cette dernière sur différents terrains, à travers un engagement financier massif. L’objectif est ainsi d’aider les pays les plus vulnérables à « reconstruire mieux » (build back better) et à renforcer la résilience de leurs populations. Les assouplissements des obligations des dettes souveraines des pays les plus pauvres accordés par les membres du Club de Paris et du G20 sont également des instruments soutenant les pays les plus pauvres à atteindre leurs objectifs de court et moyen terme.

La pandémie de COVID-19 a mis le monde à l’épreuve d’un phénomène inéluctable, global et fulgurant, requérant une réponse immédiate. Gardant pour un temps futur tout commentaire sur les mesures prises par les gouvernements actuels pour limiter les effets sanitaires, économiques et sociaux de la pandémie, il s’avère cependant que comme toute crise, la crise du COVID-19 offre au monde et à chacun une opportunité de construire un futur meilleur. A 10 ans de la date limite fixée des Objectifs du Développement Durable, cet électrochoc doit nous faire prendre conscience de l’urgence de la situation. Ne laissons pas le multilatéralisme se réduire à des promesses avortées.

Le régime de gouvernance globale post-covid ne peut rester le même. Plusieurs pays ont fait face aux dangers de la délocalisation d’industries clés et de la division globale du travail poussée à l’extrême ; l’OMS a été l’objet de critiques violentes sur sa gestion de la pandémie ; les théories du complot fleurissent çà et là, conduisant nos voisins, amis, parents à douter, à se tourner le dos : le champ des réformes est large et multi scalaire. Nous devons tous agir. Chacun a un rôle à jouer et un intérêt à trouver dans la nouvelle trajectoire que doit prendre le monde.

L’action par l’action

Les clés du succès résident en chacun. Les intervenants ont illustré à plusieurs reprises les initiatives mises en œuvre par différents acteurs pour initier des changements de comportements.

Marie Pierre Vedrenne, Députée Européenne et Vice-présidente de la commission du Commerce Extérieur du Parlement Européen a démontré le rôle majeur que joue l’Union européenne dans l’élévation de certains standards internationaux à travers l’application du Pacte vert et de l’imposition de normes environnementales à respecter pour accéder au marché intérieur. Le leadership européen est multiforme et fonctionne tant que le marché européen est attractif pour les producteurs étrangers. Le cas des négociations de l’Accord de libre-échange avec le Mercosur et de ses clauses de déforestation, de verdissement, de changement climatique, développement durable, mais aussi des clauses de développement social a été souligné.

Ce mécanisme d’influence des régulations globales afin d’imposer des standards élevés est un moyen qui permet d’un côté de protéger le marché intérieur et de lui donner des avantages compétitifs importants, et de l’autre de renforcer les standards environnementaux nationaux et donc de créer un système gagnant-gagnant où l’on produit « plus rentable et plus durable à la fois » selon Marie Pierre Vedrenne. Frédéric Micheau a corroboré cette idée en soulignant que de plus en plus de français n’opposent plus économie et environnement.

Cela doit être complété par des efforts de solidarité pour les pays dont les économies sont trop faibles pour suivre le pas. Une vraie transition écologique ne peut avoir d’effets concrets que si l’approche est globale et non nationale.

Le leadership Européen et les figures emblématiques de la lutte contre le changement climatique tels que Greta Thunberg ne suffisent plus. Le comportement de chacun doit concrètement changer. Il faut agir pour le présent et pour le futur simultanément. La crise du COVID-19 nous donne l’opportunité de parachever la construction d’un régime de gouvernance globale où chaque partie prenante est actrice de changement. De nombreux paradigmes sont à repenser : le développement international, la croissance économique, les échanges, la production, l’énergie, la santé, etc. Il ne s‘agit pas de nous sauver nous-même, il s’agit de se tendre la main pour sauver le monde.