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Pourquoi se déplacer autrement peut-il réduire nos émissions importées ?

| Maxime Batandeo, Fellow de l'Institut Open Diplomacy

25 novembre 2020

Lors de la journée consacrée à la thématique “Recycler l’économie”, Paul-Adrien Cormerais, directeur général de Pony, Pascal Da Costa, professeur et référent pour le développement durable de Centrale Supéléc, Karima Delli, députée européenne et présidente de la commission des transports et du tourisme, Mathieu Alapetite, directeur de la communication, des partenariats et des affaires publiques de Wimoov, Dirk C. Moosmayer, professeur à KEDGE Business School, Laurianne Rossi, députée, questeure et vice-présidente du groupe d’études “villes et banlieues” ont débattu de la nécessité de repenser les modes de transport dans le cadre d’une transition vers une économie circulaire lors d’une table ronde modérée par Pierre-Emmanuel Saint-Esprit, co-fondateur et directeur général de ZACK.

La voiture, grande responsable des émissions de CO2, est-elle vraiment irremplaçable ?

Selon l’Agence internationale de l'énergie, en 2018, le secteur des transports est responsable de 24 % des émissions mondiales de CO2. Loin devant le transport aérien et le transport maritime (environ 12 % des émissions transport chacun), et le ferroviaire (1 %), le transport routier représente environ trois quarts des émissions de CO2 pour le secteur du transport. Et si le transport routier ne se définit pas uniquement par la voiture particulière, c’est tout de même ce mode de déplacement qui fait les plus gros dégâts : elle représente 60 % des émissions de CO2 du transport routier. C'est-à-dire plus de 40 % des émissions de CO2, tous modes de transports confondus !

Ce constat est affligeant. Mais pire encore, si rien n’est fait, les prévisions actuelles tablent sur une augmentation de 60 % des émissions de CO2 pour les voitures particulières d’ici 2050 alors qu’il serait nécessaire qu’elles baissent de quasiment autant pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat, il y a 5 ans déjà.

Selon l’INSEE, sept Français sur dix se rendent au travail en voiture. Un sur deux utilise sa voiture même lorsqu’il travaille et habite dans la même ville. Il n’y a qu’à Paris et dans la petite couronne que les transports en commun constituent le mode de transport privilégié des travailleurs. Dans le reste de la France, il apparaît que la catégorie des cadres est celle la plus susceptible de se passer de voiture. L’explication est double : ils travaillent pour la plupart dans des centres urbains bien desservis par les transports en communs et exercent des professions où le télétravail est possible et facile à mettre en place.

Comme l’a montré la crise de la Covid-19, « les premiers de corvée ne peuvent pas télétravailler » selon les termes de Mathieu Alapetite et les ouvriers ainsi les professions intermédiaires ne peuvent, pour la plupart, rester chez eux pour exercer leur profession. Faute d’alternative en transport collectif satisfaisante, ils doivent utiliser leur voiture.

L’investissement des collectivités dans un réseau de transports en commun fonctionnel et étendu sur son territoire sera nécessaire pour pallier à la fois les problèmes climatiques et les inégalités.

Les Français ont dit oui à l’intermodalité, non à la fiscalité écologique

Fort de ce constat, les politiques publiques, avec la loi du 12 juillet 2010 portant Engagement National pour l’Environnement - ENE et la loi du 24 décembre 2019 d’Orientation des Mobilités - LOM, ont concentré leurs efforts législatifs sur la réduction de la dépendance des Français à l’automobile. En programmant des investissements dans les infrastructures de transports collectifs et en accélérant la croissance de nouvelles mobilités douces, les lois ENE et LOM ont eu pour ambition de mettre en œuvre l’intermodalité au-delà des seules métropoles. Comme l’exprime Laurianne Rossi, il faut « agir sur tous les types de transports (courte, moyenne et longue distance) en réfléchissant à l'énergie utilisée, au véhicule utilisé ainsi qu'aux flux ». En considérant que le problème dépasse les seules métropoles, c’est tout le territoire qu’on englobe dans cet effort de transformation, et donc par extension, tous les habitants que l’on inclut.

Néanmoins, en souhaitant rendre moins attractif le routier par rapport aux autres modes de transport via une fiscalité écologique perçue comme punitive (taxe nationale sur les transports de marchandises, contribution climat-énergie), les gouvernements ont eu à affronter une levée de bouclier symbolisée par l’émergence de mouvements para-politiques : les Bonnets Rouges et les Gilets Jaunes. Cela témoigne, comme le dit Karima Delli, que « la mobilité en France est devenue un accélérateur de précarité ». Comment contourner ce problème, ce cercle vicieux, souligné par la députée européenne, tout en y répondant ?

Pour Mathieu Alapetite, il est nécessaire d’identifier les freins psychosociaux à l’usage de nouvelles formes de mobilité notamment auprès des publics les plus modestes et/ou enclavés. Selon lui « la mobilité ça s'apprend. Il faut accompagner les individus vers des alternatives à la voiture pour les rendre mobiles et encourager la transition écologique ». Autre frein révélé par l’expérience mitigée du déploiement de vélos et trottinettes partagées dans la ville d’Angers, la gouvernance souffre de l’absence de dividende électoral à mener des politiques locales de réduction de l’usage de l’automobile comme le fait remarquer Pierre-Adrien Cormerais. Il note que la « gouvernance administrée a échoué et que nous sommes en retard en termes de déploiement de solutions de mobilité douce par rapport à l’Allemagne ou les Pays Bas ».

Améliorer l’efficacité énergétique des modes de transport peut être une solution : substituer au moteur thermique un moteur électrique, partir en vacances en covoiturage bon marché permet a priori d’avoir la conscience écologique tranquille. Néanmoins, comme le souligne Pascal Da Costa « si la mobilité pour tous est mal pensée, elle peut avoir des effets rebonds très délétères en matière de gaz à effet de serre ». On peut illustrer l’effet rebond grâce à l’économiste anglais William Stanley Jevons qui fait remarquer, au XIXe siècle, qu’en remplaçant une machine à vapeur par une autre, moins consommatrice de charbon, le gain énergétique aurait dû se concrétiser par une baisse de la consommation globale du charbon. Pourtant, c’est le contraire qui s’est produit, car avec le succès de cette nouvelle machine moins consommatrice, la demande de charbon s’est accrue, illustrant le paradoxe de l’efficacité énergétique. C’est pourquoi il est nécessaire de penser les optimisations d’empreinte carbone de manière holistique afin que les efforts individuels et collectifs permettent une baisse tangible des émissions carbone.

Vers un commerce international minimisant les émissions importées ?

Dirk Moosmayer suggère de « réorganiser la géographie des chaînes de valeur pour tenir compte de la pollution des modes de transport, en y intégrant les externalités négatives, afin de dissuader les échanges croisés ». Il fait ici écho au constat du Haut Conseil pour le Climat qui note que, si les émissions directes en France ont bien baissé de 16 % depuis 1990, les émissions dites « importées » (c’est à dire liées aux importations nécessaires à la satisfaction de la demande intérieure) ne cessent d’augmenter et représentent aujourd’hui plus de la moitié du total des émissions.

Dans cette perspective, comme le rappelle Karima Delli, la mise en œuvre prochaine « d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union Européenne » permettrait de redéfinir les règles du commerce international et de redonner de la compétitivité à de la production bas carbone. Dès lors, il s’agit de prendre en compte les émissions sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit en créant, par exemple, un score de la production au recyclage. Cela aurait pour effet de sensibiliser les consommateurs afin de les orienter vers des biens et marchandises à faible empreinte carbone. D’ailleurs, le lieu de fabrication d’un objet importe dans la quantité de carbone rejeté.

Prenons l’exemple du véhicule à moteur hydrogène. Alors que l’utilisation d’une batterie hydrogène n’émet pas de carbone, sa production si. Et cela diffère en fonction du lieu de fabrication et de l’énergie utilisée, notamment pour l’électrolyse. C’est ainsi qu’une batterie fabriquée en France générera moins d’émissions en raison de l’utilisation du nucléaire, qu’une batterie fabriquée en Chine par exemple. Développer une filière hydrogène, comme le prévoit la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné dans le cadre du dernier plan de relance, est une première étape vers une localisation des activités industrielles énergétiquement intensives dans les territoires à énergie bas carbone. Certes cela générerait plus d’émissions en France mais diminuerait in fine l’empreinte carbone globale. Il faut penser le problème dans son ensemble.