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Écouter ce que nous dit l’espace

| Rose Vennin, Fellow de l'Institut Open Diplomacy

6 novembre 2020

Dans la lutte contre le changement climatique, l’espace peut et doit jouer un rôle clef. Voici le message principal délivré par Jan Wörner, Directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), lors de son intervention aux Rencontres du Développement Durable. Dans un contexte de crise du multilatéralisme, de crise du Covid-19 et de crise climatique, l’espace se situe – littéralement – au-dessus de tout. Il présente donc une opportunité pour renforcer les coopérations entre acteurs étatiques, privés et civils.

L’espace : un enjeu stratégique

L’espace est un enjeu stratégique pour les États depuis des décennies. Il agit comme un véritable « multiplicateur de puissance » du fait de dynamiques héritées de la Course à l’Espace pendant la Guerre Froide. Alors que le monde se retrouve dans une configuration géopolitique inédite où s’affrontent les Etats-Unis d’un côté et l’URSS de l’autre, la conquête de cet espace vierge permettrait une victoire dans l’imaginaire collectif. Pendant la Guerre Froide, les avancées dans les domaines de la surveillance et de la télécommunication, entre autres, nourrissent et se nourrissent de cette course effrénée.

Aujourd’hui encore, l’espace peut être qualifié de « nouveau Far West » car les projets de lancements de satellites se multiplient. En moyenne, chaque terrien utilise les services de 40 satellites par jour ; certaines start-ups accompagnent cet engouement en inventant quotidiennement de nouveaux types de prestations dans l’espace. Selon le bureau d'études Euroconsult, le chiffre d'affaires spatial mondial va augmenter de 298 milliards de dollars en 2018 à 485 milliards en 2028.

Ainsi, l’espace n’est plus le domaine réservé de quelques grandes agences étatiques : grâce à une réduction drastique des coûts d’accès et des avancées technologiques, il est désormais investi par de multiples acteurs privés et publics. Se pose donc la question de la gouvernance de l’espace. Dans ce contexte changeant, l’ESA est une pièce maîtresse de la politique spatiale du continent européen, regroupant 22 Etats membres dont la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Grèce ou encore le Royaume-Uni. Avec un budget non-négligeable de 5,72 milliards d’euros, l’ESA joue un rôle de catalyseur européen pour les projets de recherche et de déploiement spatiaux.

Tirer des enseignements de la gestion de l’espace pour la lutte contre le changement climatique

La multiplication d’initiatives spatiales s’accompagne du problème classique de la gestion des biens communs. L’espace extra-atmosphérique est presque sans équivalent sur le plan juridique, puisqu’il est situé au-delà de l’emprise de toute juridiction politique ou légale. Depuis la fin des années 1950, la communauté internationale tente d’y apporter un cadre réglementaire, dont la pierre angulaire est le Traité de l’espace de 1967 qui prévoit une liberté d’accès des États à l’espace extra-atmosphérique, sans que l’un d’entre eux ne puisse se l’approprier. Ce cadre réglementaire ne permet pas de répondre efficacement à certaines problématiques qui sont en dehors de son champ d’application, en premier lieu desquelles la pollution spatiale.

D’après Jan Wörner, 750 000 objets sont aujourd’hui en orbite, dont 4 500 satellites. De ces 4 500 satellites, 1 500 fonctionnent effectivement, mais les autres ne sont plus que des « débris spatiaux ». Bien que pour la plupart d’une taille très réduite, ces débris représentent un grand danger lorsqu’ils tournent en orbite autour de la Terre. Du fait de leur vitesse, ils peuvent faire exploser des satellites actifs. En 2009, une collision entre le satellite américain de télécommunication Iridium 33 et un satellite russe inactif Kosmos 2251 a provoqué 600 débris de plus de 10cm sur une orbite déjà très encombrée.

Pourtant, relativement peu de moyens ont été alloués à la collecte de ces déchets, et les détruire ne ferait qu’en créer de supplémentaires. La solution ? Les ramener sur Terre. Et si cette solution est efficace, elle est très coûteuse. Dans son intervention, Jan Wörner expliquait que les Etats sont peu enclins à payer l’addition. A cela s’ajoute la difficulté de faire comprendre l’urgence et le danger de la pollution spatiale que les Terriens ne voient pas et dont ils ne sont tout simplement pas témoins.

Il aura fallu plusieurs années à l’ESA pour se mettre d’accord sur un programme de sûreté de l’espace de 412 millions d’euros. C’est finalement en 2019 que l’agence s’accorde sur ce budget. 120 millions d’euros seront alloués à la mission ClearSpace-1, qui sera lancée en 2025, pour collecter les débris spatiaux au moyen de quatre bras robotiques. Au-delà de ces initiatives ponctuelles, Jan Wörner appelle à un véritable « changement de mentalités » et à la mise en place de nouvelles règles pour faire peser la responsabilité de la collecte aux propriétaires des satellites. On retrouve ici le principe du « pollueur-payeur ». Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, ce principe a été inscrit dès 1992 dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement. S’il régit désormais les débats sur la taxation carbone, il pose toujours de nombreuses interrogations : par exemple, l'assiette de la taxe doit-elle être le montant des émissions nationales de CO2 ou celle de « l'empreinte carbone » du pays, qui comprend également le CO2 importés ? Même en Europe, malgré les ambitions de la Commission Européenne pour son Green Deal, les débats sont loin d’être tranchés.

La difficulté des différents acteurs à se mettre d’accord et à mettre en application de principe du « pollueur-payeur » pose donc de nombreuses questions quant à leurs capacités de s’entendre et à mettre en place des règles afin de faire peser la responsabilité de la collecte des déchets aux propriétaires des satellites.

L’espace doit jouer un rôle dans la lutte contre le changement climatique

Outre tirer des leçons concernant la gestion d’un bien commun, l’espace peut, et doit, jouer un rôle actif dans la lutte contre le dérèglement climatique. L’espace est un poste d’observation unique. Des 50 variables qui permettent de suivre l'évolution de la température de la planète, 26 peuvent être mesurées uniquement depuis l'espace. Fortes de ce constat, les agences spatiales ont ainsi créé, depuis plusieurs années, des programmes pour la surveillance et le suivi des changements climatiques. Elles fournissent des données précieuses sur la chimie atmosphérique, les effets du réchauffement climatique sur les terres humides, sur le sol gelé en permanence (pergélisol) et sur les océans. Les satellites ont notamment permis de mettre en évidence l’augmentation du niveau de l’océan de 3.2mm par an.

L’espace peut aussi accélérer le développement de technologies innovantes, tel que le satellite MicroCarb. Lancé par l’Agence Spatiale Française en 2021, MicroCarb sera le premier satellite cartographiant les sources et puits du CO2. Il répond à un véritable besoin : par manque de stations de mesures terrestres, nous ne connaissons pas actuellement les quantités de CO2 absorbées et émises dans certaines régions, ni leurs variations au fil des saisons. Au vu de la rapidité de la dégradation du climat, l’urgence réside aujourd’hui dans la multiplication de tels projets, ainsi que dans une collaboration inter-agence accrue, pour des politiques climatiques plus efficaces.