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De la possession au partage : quel avenir pour l’économie d’usage ?

| Jean-Baptiste Boyssou, Fellow de l’Institut Open Diplomacy

20 novembre 2020

Lors de la journée consacrée au thème “Accéder au bien-être” des Rencontres du Développement Durable s’est tenue une masterclass durant laquelle Olivier Jaillon, Directeur général de Wakam est intervenu sur le thème ‘pour migrer vers une économie d’usage”. Thomas Friang, Directeur général de l’Institut Open Diplomacy a modéré cette masterclass.

Du sac rempli de courses au livreur de 21 heures qui apporte un dîner bien chaud, un abîme infranchissable semblait présent. D’une économie possessive, qui implique la propriété matérielle des objets, à une économie d’usage, fondée sur le service rendu par l’objet et non son statut, le consommateur est en pleine métamorphose. Quel impact pour la planète ? Bonne direction ou impasse inexorable ? Olivier Jaillon, Directeur Général de Wakam, société d’assurance digitale, défrichait ce nouveau terrain de jeu lors des Rencontres du Développement Durable.

Un changement de paradigme pour le consommateur

Olivier Jaillon nous résume sa vision d’une économie d’usage, comme étant une migration qui « laisse place au patrimoine éphémère ». Ce système semble souhaitable pour l’individu, le consommateur, grâce à un accès au bien sans mobilisation effective de capital, mais également pour une société qui tend à limiter son apport de produits neufs, son empreinte carbone, et sa quantité de déchets… Si ces objectifs paraissent contraignants, l’économie d’usage permet en fait d’entrevoir une consommation, certes maîtrisée, mais tout de même abondante - au sens positif. Est-ce utopique ?

Pas pour le dirigeant de Wakam, qui considère son entreprise comme un « stabilisateur social ». Quand les uns font des cauchemars des termes comme uberisation ou économie de plateforme, l’assureur voit une « alternative forte à l’accumulation de biens ». Cette plateformisation offre une « plus grande liberté » dont les consommateurs sont souvent friands. En outre, cela permet de repenser notre rapport au bien matériel, car les entreprises concernées ont désormais tout intérêt à lutter contre l’obsolescence programmée, qui mettrait à mal le service qu’elle rende. Un « engagement en faveur de la soutenabilité » permet ainsi d’augmenter les profits de la plateforme, qui a tout intérêt à soutenir cette démarche de durabilité.

Alors que la possessions de biens matériels est de moins en moins synonyme de réalisation statutaire pour les consommateurs, l’économie d’usage prend son envol : le bien-être n’est plus affaire de possession. Il se loue pour quelques minutes ou quelques heures. A rebours de toute l’organisation de notre système de consommation, ces nouvelles entreprises leader de l’économie d’usage - Uber, Airbnb, BlaBlaCar - affichent des performances radieuses.

Reposant sur un modèle encore friable et fragile, les innovations techniques comme sociologiques pleuvent dans le milieu de l’économie d’usage : ergonomie optimale, service personnalisé, suivi en temps réel… De nombreux atouts permettent à cette nouvelle économie de sérieusement menacer sa grande sœur historique. Dans ce match de haute volée, l’arbitre environnemental aura nécessairement son mot à dire.

Économie d’usage et développement durable : une étroite relation

Ces dernières années, l’accession éphémère à un bien désiré a permis à des individus d’assouvir leurs besoins matériels et immatériels. Pour Olivier Jaillon, cela dénote « d’un avancement dans les critères de consommation ». Il ajoute, comme pour rappeler notre devoir de transmission : « nous pouvons passer quelque chose aux générations futures », et ce « quelque chose » se devra d’être durable, pour le bien de notre planète. Cela s’applique également à l’économie, qui pour rappel, est l’un des trois piliers du développement durable.

De nouvelles valeurs sont portées au premier plan de l’attention d’un individu consommateur de plus en plus au fait des maux de notre planète et de l’urgence d’agir. Ces valeurs viennent en complément, voire en remplacement des historiques qualités de service rendu et d’achèvement social : la flexibilité, la rapidité, le respect de valeurs environnementales et sociales. Pour Olivier Jaillon, nous assistons à « un changement du rapport à la possession », ce qui permet in fine de protéger la planète.

Dans cette dynamique, une proposition retient particulièrement l’attention de l’assureur digital : introduire l’obligation d’abonder financièrement, à partir d’un certain niveau de patrimoine, à l’effort d’organisations non lucratives, notamment dans la lutte contre le changement climatique. Dans une économie d’usage, alors que nous payons pour des services temporaires, il peut sembler à la fois juste, logique et pertinent de rendre sous forme pécuniaire tous les services que nous rend la Terre, à commencer par celui de nous porter sur son dos et de supporter, tant bien que mal nos excès. Un objectif encore utopiste mais dont l’avenir peut s’avérer radieux dans une économie protéiforme, à mi-chemin entre consommation personnelle inexorable et usage ponctuel de biens collectifs. Encore faut-il que cette mutation s’opère effectivement, le consommateur modifiant activement ses habitudes.

La confiance comme levier primordial d’une mutation

Pour Olivier Jaillon, « tous les assureurs doivent rapidement se transformer en entreprises à mission ». Être attentif à la clarté des contrats, assurer un retour vers l’assuré, mesurer la qualité du service fourni… Tous ces éléments permettront d’ancrer le secteur dans une démarche de rapprochement du consommateur, qui pourra créer la confiance des uns envers les autres, nécessaire à une profonde mutation.

Favoriser l’émergence de plateformes qui s’impliquent dans la lutte contre l’obsolescence programmée ou de structures qui s’inscrivent dans une démarche de services éco-responsables est crucial dans une économie d’usage. Pour Olivier Jaillon, il est question de « contribuer à l’émergence d’une assurance universelle ». Être assuré pour tout, dans tous les usages, au prorata de notre consommation : tel est le cap fixé par Wakam, dont le dirigeant martèle que « les assureurs doivent s’engager pleinement dans cette mutation », puisqu’ils sont les véritables maîtres à bords « pour que tous les individus aient un jour accès à une couverture ».

Dans une économie d’usage, mais plus encore dans une économie du bien-être social et environnemental, la couverture universelle est l’assurance d’une tranquillité de tous les instants, et pour tous les individus. Pour le Directeur général de Wakam, « pour instaurer une société de confiance, la sphère privée et la sphère publique doivent travailler main dans la main », condition nécessaire à une transformation économique réussie. Dans une économie de consommation comme une économie d’usage, tout se ramène finalement à une question de crédit.