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Pour imaginer un autre modèle de développement

Thomas Gasselin et Jean-Baptiste Boyssou

2 octobre 2020

Lors de la journée consacrée au thème “Transformer le capitalisme” des Rencontres du Développement Durable s’est tenue une Masterclass durant laquelle Pascal Demurger, Directeur général de la MAIF et Isabelle Durant, Secrétaire générale adjointe de la CNUCED nous ont apporté leur éclairage sur l’importance de considérer les Objectifs du développement durable (ODD) comme une véritable boussole pour dessiner un monde durable et plus inclusif.

Plans de relance et ambition durable

Les plans de relance ont été produits dans l’urgence afin de soutenir l’économie et lui permettre de repartir au plus vite, dans l’espoir de construire un « monde d’après ». Cependant, ni la vision de ce dernier ni la démarche pour tenter d’y arriver ne sont partagées entre tous les pays. D’un côté, on assiste à des plans de relance européens qui tentent de s’accorder sur une véritable ambition durable. Par exemple, un tiers du plan « France relance », financé à hauteur de 40 % par l’UE, est dédié à la transition écologique. D’un autre côté, les pays en voie de développement n’ont pas les mêmes priorités : ils essayent d’abord et avant tout de relancer leurs économies, et n’ont pas nécessairement les moyens de verdir cette relance. En effet, leur capacité à développer une vision à long terme et à la mettre en œuvre à l’aune de moyens dédiés est obérée par la fragilité de leur situation pré-Covid. Parallèlement, les fonds dont disposent les institutions multilatérales pour aider ces pays dans leur démarche d’une relance durable, paraissent dérisoires au regard des besoins - quand ils ne sont pas remis en question dans les tumultes du multilatéralisme - et au regard des bénéfices engrangés par les GAFA pendant l’épidémie.

Pour Pascal Demurger, les entreprises ont ainsi un rôle clé à jouer dans cette volonté de relance plus durable. Ce tournant majeur que nous vivons est l’occasion de changer la place et le rôle de l’entreprise au sein de notre société. Dans le cadre du plan de relance, l’État doit aider les entreprises en stimulant leur compétitivité et en les rendant plus fortes. Mais cette aide ne doit pas être sans conditions. Ces conditions doivent être en accord avec les ODD, contribuer à accompagner l’entreprise dans la prise de conscience et l’évolution de son rôle social, et renforcer sa capacité à porter une ambition durable.

Les ODD, boussoles du changement pour tous

Afin de mettre en œuvre une transition juste et inclusive et d’imaginer un développement plus durable, il faut prendre en compte les structures de différentes tailles, les thématiques interconnectées ainsi que la pluralité des convictions, des avis. Afin d’orienter cette évolution, il est crucial de rester ouvert sur le reste du monde : comme le souligne Isabelle Durant, “on ne peut envisager un développement dans son environnement immédiat”.

Suivons alors le conseil de la diplomate internationale et encourageons les gouvernements à prendre en compte l’aiguillage fourni par les ODD, principal accord multilatéral des 5 dernières années, lors de la conception des plans de relance. Le système multilatéral est complexe et maintenant fracturé : comme dans toute maison, les fondations doivent être assurées, par les ODD qui sont le ciment commun de notre transformation.

Les autres échelles sont également déterminantes : ces objectifs sont voulus pour permettre une action à tous les niveaux. Ainsi, il importe d’inclure les maires dans un édifice plus large, afin de décliner les ODD jusque dans la plus petite municipalité de France.

Cette liste d’objectifs apparaît comme une boussole pour les structures de grande taille, mais également pour le citoyen, qui peut y retrouver, mises en perspective, des situations tangibles du quotidien. Pascal Demurger martèle ainsi qu’une action concrète est possible étant donné “le levier extraordinairement puissant, en tant que consommateurs”, dont disposent les citoyens.

Plus qu’une direction à suivre, les ODD permettent de donner un cadre à la transformation que nous cherchons à opérer. Afin de modifier le comportement des entreprises, “la conditionnalité constitue un enjeu central” selon Pascal Demurger. En effet, l’aide publique doit s’appuyer sur une feuille de route claire, comme celle que fournit les ODD pour faire changer les choses, afin d’empêcher la création, par les entreprises, d’externalités négatives pour l’ensemble de la société.

Renforcer la coopération entre acteurs

L’interaction entre tous les acteurs, entreprises privées, structures publiques et organisations internationales, est au cœur de l’action voulue par les citoyens, et nécessaire pour un développement plus durable. Selon Isabelle Durant, il ne faut pas oublier que les entreprises peuvent - et doivent - jouer un rôle de guide pour les politiques, en établissant spontanément des normes autour de questions, comme par exemple celle de l’obsolescence programmée. Cette “relation à double sens” est au cœur de l’évolution des sociétés : il est “essentiel que les États accompagnent ce mouvement”, comme l’affirme Pascal Demurger, afin “d’avoir l’impact le plus positif possible”.

Plus largement, la coopération pour tendre vers un autre développement constitue également une question internationale. L’impact le plus lourd de la crise sanitaire, économique et sociale, est porté par les pays en développement. Les inégalités continuent de se creuser. Face au fossé abyssal entre l’augmentation de la fortune de Jeff Bezos (46 milliards d’euros durant la pandémie) et la constitution d’un fonds des Nations unies pour la recherche d’un vaccin de 100 millions d’euros, Isabelle Durant martèle la nécessité de lutter contre les inégalités, au sein des pays et entre les pays.

La dépendance de nombreux pays en développement à leurs ressources en énergies fossiles, ou encore le pouvoir de rayonnement mondial des entreprises du numérique sont autant d’enjeux qui peuvent freiner la recherche d’autres voies de développement. Les intérêts des acteurs comme ceux des Etats ne convergent pas naturellement, et face aux fragmentations internationales, la volonté politique est majeure pour générer des consensus et des avancées dans ces domaines.

Dans cette perspective, la personne du consommateur apparaît centrale : “Quels sont les leviers dont je dispose, personnellement, pour que la relance soit présente ?” lance Isabelle Durant. Pascal Demurger appelle à comparer les entreprises selon leur niveau d’impact, en faisant pleinement usage du pouvoir économique et politique majeur dont dispose le consommateur.

Comment agir à son échelle ? Commençons par réfléchir à des actions à taille humaine et dans son propre champ d’action en lien avec les objectifs de développement durable. Chaque État, chaque entreprise, chaque individu peut ainsi contribuer de manière concrète et positive au développement durable. Benoît Piveteau, délégué au Y20 2020, introduisait ainsi cette masterclass : la diversité et l’inclusion sont les moteurs d’un autre développement, qui permettrait à tous les citoyens de participer pleinement, comme acteurs, comme aiguillons, comme évaluateurs à la transformation dont nous avons tous besoin, et notre planète avec nous.