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Car la crise climatique est une crise systémique

| Jean-Baptiste Boyssou, Fellow de l’Institut Open Diplomacy

16 novembre 2020

Lors de la journée consacrée au thème “Agir à temps” des Rencontres du Développement Durable s’est tenue une Masterclass modérée par Thomas Friang, Directeur général de l’Institut Open Diplomacy, avec Laurent Bibard, Titulaire de la Chaire « Edgar Morin de la complexité » de l’ESSEC et Yacine Ait Kaci, Fondateur et Président de la Fondation Elyx.

La crise climatique est aujourd’hui une problématique présente dans tous les esprits, elle est également l’objet de nombreuses attentions et la cible de multiples actions. Elle est aussi le révélateur de fragilités propres à notre mode de fonctionnement dans son ensemble : fragilités économiques, fragilités sociales, fragilités démocratiques… Laurent Bibard et Yacine Ait Kaci nous apportent un éclairage lumineux sur la crise systémique révélée par la crise climatique.

Une crise révélatrice des failles du système

Avant même la crise climatique il est une crise mise en exergue par Laurent Bibard : la croyance selon laquelle il n’y aurait pas de crise. Pourtant, il est du devoir de chacun de ne pas se « voiler la face » concernant l’ampleur de cette crise mondiale, « celle de notre naïveté ». Il est temps de prendre conscience de l’urgence et de l’ampleur des maux dont souffre notre planète. Cette crise du système tout entier est une crise de toutes ces composantes, ou presque. A ce titre, un travail de collaboration d’une intensité inouïe nous sera nécessaire pour pouvoir en sortir.

Yacine Ait Kaci le souligne d’ailleurs : « toutes ces crises concernent l’ensemble de l’humanité », dans un monde à la complexité sidérante. Notre actualité la plus brûlante en est elle-même révélatrice : la pandémie de la covid-19 agit comme un projecteur, mettant sur le devant de la scène les approximations et faiblesses de nos systèmes de santé, ainsi que les criantes inégalités présentes dans nos civilisations. Ce sont donc bien les modèles qui sont en crise, et pas leur objet : par exemple, au niveau sanitaire, la crise touche le fonctionnement général du système de santé, et non la manière de prodiguer des soins.

Pour Yacine Ait Kaci, nous vivons une « crise de récit qui passe à travers des représentations ». Un manque de bon sens, de solidarité et de compassion envers nos semblables est particulièrement visible dans la plupart des sociétés du XIXe siècle. Laurent Bibard critique ainsi l’idée selon laquelle « nous ne sommes que des agents économiques ». Le titulaire de la Chaire Edgar Morin de la complexité souligne d’ailleurs l’erreur que constitue le fait de penser que l’humain n’est pas capable de recul et de solidarité. « Ne pas savoir ensemble » n’est pas un problème en soi, « mais avancer ensemble [peut s’avérer être] un atout [de taille] ». C’est donc à exploiter pour résoudre les maux qui rongent l’humanité entière. Si la crise du climat touche en fait tous les rangs de notre société, tous ses aspects et ses particularités, avancer ensemble et faire preuve de solidarité apparaît comme la meilleure réponse pour repenser notre rapport aux autres, à la nature et à nous-même.

Les ODD, boussoles encore trop marginales

Afin d’enclencher une mutation systémique profonde dont l’objectif premier est de pallier les nombreuses crises qui nous assaillent, une direction commune a été décidée. Les 17 Objectifs du Développement Durable (ODD), feuille de route historique par le nombre de pays concernés - tous - recouvrent l’ensemble du spectre des dérives de nos sociétés auxquelles nous devons apporter des solutions positives. De l’accès à l’éducation, à celui de l’eau potable pour tous, en passant par la transformation des centres urbains polluants en de véritables villes durables, ou encore en aboutissant à une véritable et effective égalité des genres... un système global au fonctionnement idéal est visé par ces 17 cibles, dont nous fêtons cette année le cinquième anniversaire. Fixés à 2030, ces ODD ont néanmoins et malheureusement vécu une perte de signal importante, depuis 2015 où leur lancement leur avait valu une grande visibilité médiatique.

Les trois piliers du développement durable (environnemental, social et économique), et les interactions entre ces trois domaines est la clé pour réussir le pari d’atteindre les 17 ODD d’ici 2030. Pour Yacine Ait Kaci « quand on parle de développement durable, 90 % des gens entendent écologie », réduisant ainsi l’importance des deux autres piliers, pourtant indispensables pour mener la transition tant attendue. L’exemple de la France est très parlant. La stratégie mise en place pour atteindre les ODD à l’intérieur de nos frontières est pilotée par le Ministère de la Transition Écologique, alors qu’un pilotage global, systémique, depuis Matignon, semblerait plus adapté et plus cohérent, pour le dirigeant de la fondation Elyx. C’est la voie qu’ont choisi de suivre nos voisins espagnols. En créant le poste de Vice-premier ministre aux ODD, première mondiale, le pays s’est assuré un cadre méthodologique global et cohérent, donnant autant d’importance aux trois piliers du développement durable et mettant ainsi toutes les chances de son côté pour la réalisation de ces Objectifs.

Alors qu’il ne reste que 10 ans pour atteindre ces ODD, la fondation Elyx a mis en place une action box pour rentrer, elle aussi, dans cette « décennie de l’action ». Son objectif est de mettre à disposition des outils pour que chacun puisse se saisir pleinement des ODD. Plusieurs limites, à la fois naturelles et de notre système, sont mises en avant dans cette boîte à outils. Le but : mettre en avant le plafond environnemental que nous ne devons pas dépasser, afin de permettre l'émergence d'un espace d’économie régénérative et de prospérité.

Plus largement, il est crucial d’avoir une pensée et une vision globale en ces temps de crise, comme le martèle Yacine Ait Kaci : « Les ODD fonctionnent tous ensemble. Nous devons sortir de ces silos pour avoir une vision holistique [...] C’est une complexité dont il ne faut pas avoir peur ». Le défi est lancé.

De profondes inégalités à résoudre

Principales difficultés sur notre chemin vers un système plus vertueux, plus socialement juste et plus vert, les nombreuses injustices qui fracturent nos sociétés, parmi elles l’inégalité des genres ou encore la fracture numérique dans nos territoires, révélée au grand jour par la pandémie.

Yacine Ait Kaci voit dans le sujet de l’inégalité de genre un élément central de l’action de sa fondation, et « une question à la fois de représentation et culturelle ». Une course contre-la-montre serait même en jeu, étant donné que nous devons réécrire un récit en quelques dizaines d’années, récit basé sur des représentations héritées de notre histoire. Le Forum Génération Égalité, rendez-vous onusien autour de la question, pointe même une régression sur ces questions depuis 25 ans.

Dans cette situation de crise systémique, il nous faudra par ailleurs revoir notre rapport à la nature, en se rappelant que « la totalité du monde nous enveloppe et pas l’inverse », comme le fait justement remarquer Laurent Bibard. Maîtriser la nature nous a souvent, si ce n’est toujours, conduit à des problèmes ; on ne peut la maîtriser que « de façon fragmentaire : localement et transitoirement ». Une solution semble se dégager distinctement dans l’évolution de notre rapport conflictuel à la nature : « lutter contre la naïveté envers la science, et se méfier de ce que l’on sait ».

Yacine Ait Kaci résume parfaitement l’approche que nous devons avoir vis-à-vis de cette crise systémique : être “un optimiste offensif”. La conscience des enjeux et la capacité d’action sont les deux piliers de notre résilience face aux défis qu’affronte actuellement le monde dans lequel nous évoluons. Une démarche à adopter systématiquement !