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Fonder des société(s) inclusive(s)

| Mathilde Viart

15 septembre 2021

L’engagement des Lumières, la Révolution française, l’abolition des privilèges, les Républiques successives et le rôle pivot qu’elles ont accordé à l’éducation, ont permis d'asseoir une nouvelle norme de justice : une société de liberté et d’égalité, où les hommes « naissent et demeurent libres et égaux en droits » et où « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Dans nos sociétés libres, le mérite s’est imposé comme le critère légitime de distinction sociale. Les droits sociaux ont ensuite complété les libertés individuelles et publiques à l’épreuve de l’urbanisation et de l’industrialisation : pour exercer pleinement sa liberté, c’est-à-dire être en capacité de se projeter et de choisir sa vie, la sécurité sociale, au sens littéral du terme, est nécessaire. Cette vision de la liberté suggère donc qu’on s’attaque à la pauvreté, ce que propose l’économiste et philosophe contemporain Amartya Sen par la notion de Capabilities. 

Ce modèle républicain, s’il est un idéal-type, révèle de nombreuses limites dans sa réalisation concrète. 

Selon Pierre Bourdieu, la reproduction sociale intergénérationnelle reste telle qu’elle ferait de l’école un mythe méritocratique, en ce que celle-ci enseigne la culture légitime, maîtrisée par les classes aisées mais pas par les plus défavorisés. 

Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir montre que ce que l’on associe au masculin ou au féminin est une réalité socialement construite, et non biologique. La domination masculine se forme, se manifeste et se reproduit dans tous les coins et recoins de nos vies sociales : l’égalité de droits entre les femmes et les hommes, en soi un immense progrès, ne résoudra pourtant pas à elle seule les inégalités de genre. Cette approche justifie les politiques de quotas de femmes (dans les CA de grandes entreprises par exemple). 

S’il n’existe pas de statistiques ethniques en France, plusieurs études empiriques ont montré que, toutes choses égales par ailleurs, les CV d’individus ayant un nom à consonance musulmane puis ceux à consonance juive, avaient moins de chance que les noms à consonance chrétienne d’être reçus en entretien d’embauche. 

Les Gilets jaunes, Me Too, Black Lives Matter, tous ces mouvements ont en commun la lutte contre les inégalités - socio-économiques, culturelles, identitaires. Comment faire corps dans une société fragmentée, voire « archipelisée » pour reprendre Emmanuel Todd ? Certains mouvements intersectionnels voudraient y voir l’opportunité d’une convergence des luttes néo-marxiste unissant classes populaires et minorités. L’approche universaliste voit notre modèle républicain non pas comme le problème mais comme la solution. Comment reconnaître et traiter le problème des inégalités sans essentialiser, dans leur identité, ceux qui en sont « victimes », sans créer un droit à plusieurs vitesses ? Faire des sociétés inclusives requerra enfin de repenser les fondements de la confiance, au cœur de notre pacte démocratique.

Les Rencontres du Développement Durable seront l’occasion d’un point d’étape sur ces avancées, d’une perspective sur les chantiers à suivre, et de propositions concrètes pour un capitalisme de progrès.