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Les Objectifs de développement durable : l’étalon des politiques publiques

| Bastien Beauducel, Clara Beauvoir, Jean-Baptiste Boyssou

29 novembre 2021

Lors de la cérémonie du soixante-quinzième anniversaire de l’Organisation des nations unies (ONU), monsieur Bozkir, le président de l’Assemblée générale des Nations unies a déclaré : « Alors que nous nous remettons de la Covid-19 et que nous nous dirigeons ensemble vers un monde plus vert et plus équitable, nous continuerons d'être guidés et inspirés par la Déclaration universelle des droits de l'homme et les Objectifs de développement durable ».

Dans un monde où les incertitudes croissent, ces dix-sept objectifs, adoptés en 2015 par les 193 pays membres de l’ONU, apparaissent comme matérialisant aussi bien le but à atteindre que la voie à suivre. 

Toutefois, et paradoxalement, bien que ces objectifs soient structurants pour la communauté internationale, ils souffrent d’une méconnaissance importante de la population, encore plus dans les pays du Nord, compliquant leur mise en œuvre effective. Face à ce constat, l’atteinte de leurs cibles nécessite des réformes politiques structurelles pour les traduire effectivement en résultats tangibles. 

Une méconnaissance retardant la réalisation des ODD

Les Objectifs de développement durable (ODD) sont largement méconnus. Selon une étude de 

l’institut Ipsos, menée dans 28 pays auprès de 19 517 adultes, seuls 26 % des adultes interrogés déclarent connaître les ODD. Parmi ceux-ci, seulement 6 % sont véritablement familiers du concept. Cette notion est davantage connue dans les pays du Sud que les pays du Nord. Ainsi, en Inde, 55 % de la population déclare avoir une bonne connaissance des ODD, quand ils ne sont que 11 % en France. 

Cette relative méconnaissance n’aide pas à la prise de décision politique en leur faveur. Ainsi, si le rythme de réalisation actuel se poursuit, les objectifs ne seront pas réalisés. A titre d’exemple, en 2030, 700 millions de personnes pourraient être déplacées à cause d’un stress hydrique important alors qu’aujourd’hui 785 millions de personnes ne disposent pas des services de base d’approvisionnement en eau potable. Pire encore, la pandémie de la COVID-19 a ralenti le rythme de réalisation de ces objectifs voire même a fait reculer certains indicateurs : le nombre de personnes en situation d'extrême pauvreté a par exemple augmenté de 150 millions en 2020. Ainsi, 821 millions de personnes sont sous-alimentées en 2017 contre 784 millions en 2015. De même, les inégalités de genre, et notamment l’écart salarial, se sont accrues  pour la première fois depuis la mise en place des ODD. A ce titre, le jour du dépassement salarial en France a par exemple été dépassé ce 3 novembre dernier à 9h22 : les femmes travaillent donc virtuellement gratuitement jusqu’à la fin de l’année à compter de cette échéance, du fait de l’écart global de salaires.

De nombreux outils sont aujourd’hui à disposition afin de pouvoir quantifier et suivre l’évolution de la boussole ODD. Toutefois, ceux-ci sont encore trop peu exploités par les politiques publiques dans leurs déclarations, tout comme par les entreprises. S’appuyer sur les plus connus d’entre eux sera un atout  particulièrement solide pour mettre en place des politiques efficaces vers la complétion des 17 ODD : les rapports du GIEC en sont la partie émergée de l’iceberg la plus connue, à l’image du retentissement lors de la publication du dernier de ceux-ci à l’été dernier. Comme précisé récemment, lors des Rencontres du Développement Durable, « les faits climatiques sont aujourd’hui mieux établis, par des modèles plus précis […] et une surveillance constante par satellite », mais la tendance actuelle décrite par le GIEC pour le réchauffement global est par exemple très éloignée de l’objectif de l’Accord de Paris, nécessaire à l’atteinte d’un grand nombre d’ODD. Il nous faudra donc mettre en place « une transition sans précédent » pour rester sur une tendance semblable à celle qui a été observée sur la période 2017-2018 de +1.1°C en moyenne.

Une mise en œuvre encore plus difficile dans un monde vivant sous le règne de l’urgence

En septembre 2015, Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre mettait en garde contre 

la « tragédie des horizons ». Dans son discours, il s’inquiétait que la divergence entre l’horizon temporel des acteurs et l’horizon des conséquences du changement climatique n’entraîne une inaction. Par analogie, l’horizon de la réalisation des objectifs de développement durable semble lointain par rapport au temps politique qui ne cesse de s’accélérer. De nombreux pays sont à ce titre rythmés par des élections séparées par quelques années, comme en France, Allemagne, Royaume-Uni ou Etats-Unis qui ont le calendrier électoral le plus serré des grandes puissances avec des midterms réguliers, tandis que les ODD doivent être réalisés via de nombreuses mesures dont les résultats seront visibles sur le long terme. Leur  atteinte effective est donc astreinte à une stabilité politique dans l’implémentation des mesures par les gouvernements successifs. A l’heure du renouvellement de l’exécutif allemand suite à la fin de mandat de Mme Merkel, alors que le Royaume-Uni a quitté l’Union Européenne, que les États-Unis de Joe Biden sont focalisés sur un climat de tension constant avec la Chine de Xi Jinping, après quatre années d’ère Trump, l’horizon politique semble  détaché des enjeux de développement durable dessinés par la boussole des ODD.

La définition d’un nouveau récit de compréhension globale du monde, défini et partagé par tous

Cette difficile application des ODD est en partie liée à l’absence d’un sentiment commun, mondial, de nécessité de les réaliser. Ainsi, « 

depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, ce n'est pas qu'ils ne croient plus en rien, c'est qu'ils sont prêts à croire en tout ». Le constat de Gilbert Keith Chesterton, célèbre écrivain anglais du début du XXe siècle, s’est encore aggravé par la mise en échec des grandes idéologies du XXe siècle où aucune croyance transcendantale n’existe pour orienter les actions des individus. De même, le philosophe Hervé Fischer souligne avec force la nécessaire croyance en notre « condition planétaire », en remplacement de notre « condition post-moderne », caractérisée par la défaite de nos croyances collectives. La nécessité d’un nouveau récit est alors primordiale.

Les moyens de communication contemporains connectant le monde entier très facilement constituent une opportunité importante pour créer une communauté mondiale agissant de concert pour les ODD. Pour initier cette action, la première des mesures à prendre est de définir, de manière claire et concertée, le terme de développement durable pour que les populations se sentent investies d’une mission : la protection de la nature et de l’être humain. 

La notion de développement durable, développée pour la première fois dans le rapport Brundtland en 1987, qui a servi de base pour le Sommet de la Terre en 1992, est aujourd’hui remise en cause. En effet, elle consacre encore une part trop importante aux enjeux économiques comme en témoigne son premier terme développement. Le développement durable doit devenir un indicateur de bien-être humain et plus globalement de la nature. Toutefois, concrètement, des voix diffèrent. Pour certains pays comme le Sénégal, les ODD doivent se concentrer sur le premier objectif : la lutte contre la pauvreté car de la sortie de la pauvreté dépend la réalisation des objectifs sociaux et écologiques. Pour d’autres, les ODD doivent plutôt mettre en avant un modèle qui crée des emplois écologiquement compatibles à taux de croissance constant. Ainsi, selon les données de l’ADEME, la transition écologique a un potentiel net de 900 000 emplois en 2050. Des objectifs compatibles entre eux peuvent donc être priorisés différemment, selon les besoins de chaque région, comme certains outils le proposent.

Pour nous aider à atteindre ces 17 objectifs, une transformation globale et systémique est nécessaire. Les débats récents, catalysés par une pandémie dont l’origine naturelle en tant que zoonose semble chaque jour plus étayée, sont une occasion de revoir notre compréhension d’un modèle dont l’inadéquation avec un développement durable peut frapper. Les débats autour de nouveaux modèles de gouvernance plus inclusifs ou l’abandon d’objectifs de croissance à tout prix, qui se traduisent dans l’utilisation encore massive et tout autant critiquée du produit intérieur brut (PIB) comme seul indicateur de description de la puissance d’un État, sont très intéressants à cet égard. Notre compréhension globale ne doit cependant pas s’amputer de richesse et de complexité au titre de raccourcis séduisants : les deux extrêmes que sont d’un côté la croyance dans une technologie salvatrice à tout prix pour résoudre tous les maux planétaires, et de l’autre, à l’inverse, la méfiance abusive envers tout progrès technique comme outil au service des populations au service d’un progrès social, inclusif et écologique, doivent être combattus avec virulence. Le jeu d’équilibriste entre remise en cause avec force des aspects problématiques de notre fonctionnement économique et productif mondialisé au regard d’une poursuite des ODD tout en laissant le temps à la réflexion et l’échange pour des réformes efficaces et justes sera un aspect clé de notre nouvelle compréhension du monde vers lequel nous devons nous « hâter lentement », comme nous y invite le célèbre proverbe latin.

L’opportunité de réformes de la vie politique par les ODD

La COVID-19 nous a rappelé que la mise en œuvre des politiques publiques 

est facilitée autant par la compréhension que par l’assentiment de la population. En ce qui concerne les ODD, la compréhension des individus face aux enjeux et à la nécessité d’agir peuvent être obtenues par la création d’une convention citoyenne, au niveau national, dans la plupart des pays du monde, où les ONG et les entreprises investies sur les ODD viendraient présenter à des citoyens tirés au sort les ODD. Ces derniers définiraient, après une période de délibération, les besoins nécessaires à leur réalisation ainsi qu'un calendrier et un financement précis. Ces conventions pourraient également rester en activité pour vérifier la mise en œuvre effective des Objectifs de développement durable.

Plus largement, une implication accrue des acteurs non étatiques dans l’ensemble des pays  est un levier puissant pour une transition durable efficace. A l’heure où le modèle démocratique occidental est mis à mal par de nombreuses puissances autocratiques dont la Chine et la Russie en sont des exemples, la participation des citoyens à la mise en place de politiques publiques inclusives et socialement représentatives des besoins et demandes des populations est un outil particulièrement redoutable dans la défense d’un modèle de démocratie participative aussi étendu que possible. L’exemple de la transformation des Conference of Parties (COP) durant les dernières années est à l’image de cette demande d’inclusion plus forte de la plupart des acteurs dans la mise en place de politiques durables. Alors que le nombre de participants à ces échanges internationaux a été multiplié par plus de 5 entre 2010 et l’actuel sommet de Glasgow, la prise en compte d’un panel toujours plus vaste d’acteurs est encourageant : la présence de délégations indigènes tout comme l’ampleur des manifestations pour le climat en marge des échanges sont deux indicateurs de la mobilisation forte de l’ensemble des populations. Une réforme des fonctionnements politiques incluant plus d’acteurs, suivant le chemin indiqué par les ODD, est, à cet égard, une opportunité sans précédent.

Une nécessité d’améliorer la communication autour de ces enjeux

L’un des enjeux cruciaux actuels est de rendre accessible au grand public le contenu des ODD et de mettre en avant ces réalisations. Cela passe en premier lieu par l’éducation qui est « 

l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde », pour paraphraser Nelson Mandela. D’une part, l’école doit familiariser les élèves aux ODD. Par une séquence dédiée ou l’intégration dans de multiples séquences de géographie, de sciences de la vie de la Terre ou encore d’histoire, les enseignants peuvent faire prendre conscience aux élèves de la pertinence des ODD pour résoudre les problématiques contemporaines. De même, les établissements scolaires peuvent s’engager via la participation à des actions, à leur échelle, permettant d’atteindre un Objectif de développement durable afin de rendre ce concept plus concret.

Toutefois, la mise en œuvre des ODD ne peut pas attendre que la nouvelle génération, actuellement scolarisée, arrive aux responsabilités. En effet, la décennie 2020-2030 a été nommée par les Nations unies la « décennie d’action », c’est-à-dire celle devant aboutir à la réalisation concrète des ODD. Pour être réalisés rapidement, ces objectifs doivent irriguer l’ensemble des acteurs de l’économie et de la société civile. Cela implique donc d’intégrer la sphère de la formation continue et notamment de la formation continue en entreprise pour responsabiliser les dirigeants. De même, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) doit intégrer les ODD comme clé de lecture des choix de l’entreprise au niveau national et international. Tout nouveau projet de développement devrait mettre en avant les actions prises par leurs entreprises en faveur de ces objectifs. Un exemple de ces actes est le plan « Négawatt » qui s’inscrit explicitement dans le respect des ODD. 

L’enjeu de l’information implique bien évidemment les médias, qui, en s’emparant des actualités, les hiérarchisent et les rendent intelligibles pour le grand public. Toutefois, les journalistes ne sont pas toujours informés de l’existence des Objectifs de développement durable et de leur but. Le pacte des médias, regroupant 100 groupes de presse dans 160 pays sur les six continents, doit donc être étendu. Il doit également être renforcé en proposant des sessions de formation aux organisations et réseaux de journalistes pour leur présenter les ODD, les engagements des États et leurs réalisations. 

Boussole la plus juste et globale dont l’Humanité ne se soit jamais dotée, les Objectifs de développement durable sont un cadre dans lequel toute action de progrès doit s’inscrire, avec toute la complexité que cela suppose : l’inclusion d’un panel d’acteurs particulièrement large, à l’heure du réveil groggy d’une secousse pandémique mondiale sans commune mesure dans notre Histoire récente. Malgré leur caractère non contraignant souvent décrié et critiqué, les ODD  constituent à la fois le bâton sur lequel l’Humanité doit s’appuyer pour se relever et penser après et l’étoile polaire de populations en voyage vers un avenir durable. Comment faire alors pour ne pas trouver un océan liquide à l’arrivée, là où nous attendons un solide support de glace ? De nombreuses instances, citoyens, comme entreprises ou gouvernements engagés, le perçoivent : il nous faut travailler de concert pour ne pas reproduire les erreurs passées, et que notre transformation ne soit pas « d’aller le plus vite possible pour rester en place » comme le disait Lewis Caroll. La marche-arrière semble être la préférence actuelle,  rendant toujours plus urgente la nécessité de penser l’après avec les Objectifs de développement durable. Penser l’après ? Un premier pas, qui ne doit pas occulter l’objectif final : construire cet après.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Bastien Beauducel, Clara Beauvoir et Jean-Baptiste Boyssou sont Junior Fellows de l'Institut Open Diplomacy.