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Construire l’avenir de l’Union européenne

| Anne-Frantz Dollin, Caroline Etienne, Theodoros Karathanasis, Romaric Nazon

23 novembre 2021

Lors de son discours sur l’état de l’Union devant le Parlement européen réuni à Strasbourg le 15 Septembre 2021, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, retenait que l’Union européenne (UE) est « la première grande économie à présenter une législation complète » afin de « transformer ses objectifs climatiques en obligations légales ».

La construction d'un cadre juridique européen dédié à la transition écologique remonte au Sommet de Paris de 1972. C’est à cette occasion que les chefs d'État soulignent l'importance d'une politique communautaire de l'environnement et invitent les institutions à établir avant le 31 juillet 1973 un programme d'action assorti d'un calendrier précis. Sous la forme d'une déclaration du Conseil et des représentants des États membres, le programme d'action des communautés européennes en matière d'environnement (J.O.C.E., 1973, N° C 112, p.1) voit le jour le 22 novembre 1973. Il constitue l'instrument de base de la politique communautaire en la matière. 

Au cours des décennies suivantes, des directives permettant d'orienter les politiques européennes en matière d'environnement sont régulièrement émises.  Ainsi, la fiscalité liée à la protection de l'environnement, ou fiscalité verte, est présente dans la réglementation européenne et fait l’objet de plusieurs directives comme la directive 2003/96/CE spécifique aux produits énergétiques. Celle-ci fixe les niveaux minima de taxation et, sous certaines conditions, les exonérations ou les taux de taxation différenciée qui s'appliquent.

En 2018, un mouvement de grève scolaire en Europe et dans le monde est lancé par Greta Thunberg, jeune militante écologiste suédoise, pour protester contre l’inaction des États en matière de réchauffement climatique. La mobilisation de la jeunesse européenne en réponse à son appel pour le climat est d'une rare intensité. Adopté en 2019, le Green Deal (Pacte Vert) pour une Europe climatiquement neutre en 2050 constitue, en un sens, la réponse des institutions européennes. Une initiative qui sera ensuite prolongée en 2020 par l’adoption du  plan de relance Next Generation. Ce dernier pose les bases d’un endettement commun dans ce domaine et marque ainsi un tournant considérable dans la construction européenne s'il se confirme dans la durée. C'est la première fois dans l’histoire de l'UE qu'un texte propose une réponse systémique et prévoit des actions dans beaucoup de domaines, notamment les transports, l'énergie, l'innovation. Sachant qu'une part importante des mesures prévues par le Pacte Vert doivent évidemment être mises en œuvre au niveau national, l'essentiel de la délibération politique au sein des États membres se poursuit en incluant notamment la dimension sociale induite par le Pacte, et étroitement liée aux sujets environnementaux. Face à un nombre considérable de défis économiques et sociétaux qui s’inscrivent dans la durée, nous pouvons cependant nous interroger sur l'efficacité de cet outil censé orienter l'ensemble des politiques publiques de la Commission européenne vers le développement durable.

Ambitions normatives européennes et développement durable, la recherche d’un « juste » équilibre

La directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructure le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, et est à l'origine d'une réévaluation annuelle de la taxe carbone en France. Or, en 2018, une augmentation du prix des produits pétroliers et du gaz naturel met davantage en exergue l'impact direct d'une augmentation de la taxe carbone sur le prix des carburants automobiles. Cela est à l’origine d’une crise sociale, celle des « gilets jaunes ». Cette hausse du carburant a directement impacté le mode de vie de certains citoyens dont l’activité économique dépend directement de leur véhicule. Cette crise a pu révéler l'inadéquation entre des objectifs décidés au niveau européen puis national dans un objectif environnemental, et la réalité des territoires.

Par ailleurs, l'absence d'intégration de la dimension économique et sociale a un impact extrêmement délétère sur le plan écologique dans la filière agricole. L'exemple des cultures de betteraves sucrières est un cas d'école. Retour en arrière : en 2013, suite à une étude de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), la Commission européenne décide de restreindre l'utilisation de trois pesticides de la famille des néonicotinoïdes, une catégorie d’insecticides dont le mode d’action commun affecte le système nerveux central des insectes, provoquant la paralysie et la mort. Ceci cause des effets négatifs considérables sur la santé des abeilles et leurs colonies. Dans la continuité, au niveau national, en France, une loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages est promulguée le 8 août 2016 et interdit à partir du 1er septembre 2018, l’utilisation des produits contenant des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits. Vient s'y ajouter la loi EGalim 1, loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, adoptée par le Parlement le 2 octobre 2018, qui interdit également les néonicotinoïdes et tous les produits à mode d'action identique pour lutter contre la perte de biodiversité et contribuer à protéger les abeilles.  Cependant, en 2019, des chercheurs du CNRS, de l’Inra et de l’Institut de l’abeille (ITSAP) montrent concrètement une autre réalité sur le terrain : des résidus de néonicotinoïdes restent détectables. De plus, le 30 novembre 2020, la Fondation Nicolas Hulot associée à un collectif de 27 syndicats et associations dressent un constat d'échec sans appel : revenu paysan non revalorisé, tensions commerciales, ambition sur la réduction des pesticides revue à la baisse, etc. Pour beaucoup d'acteurs de la filière agro-alimentaire, la loi EGalim 1 nie la nécessité de sécuriser leur revenu alors qu'on leur demande efforts, investissements, et changements de leurs pratiques face à l'utilisation des insecticides. Or, en 2020, la jaunisse décime les récoltes de betteraves sucrières. Cette maladie est transmise par un puceron vert, vecteur d'un virus. Face à cette catastrophe, la réutilisation de  semences enrobées d’insecticide est autorisée jusqu'au 1er juillet 2023 via la loi du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

D'un point de vue de politique écologique et sanitaire, c'est un recul. Mais d'un point de vue économique et social, les producteurs ont ainsi à nouveau la possibilité d'avoir recours à des semences enrobées avec des néonicotinoïdes afin de protéger les rendements sucriers et ainsi sauver leurs revenus. La possibilité par la réglementation européenne d'accorder des dérogations en cas de danger ou de menace compromettant la production végétale peut être vue comme un frein à la volonté d'amener tous les États membres à une meilleure protection de la biodiversité. Mais elle peut aussi être vue comme une reconnaissance de tous les efforts effectués par les acteurs de la filière agro-alimentaire et par la lenteur inhérente à l'attente sur le marché de nouveaux produits et de formation à des pratiques différentes, davantage en accord avec les objectifs de la transition écologique.

Au niveau européen, le Pacte Vert est bienvenu mais son application sera d'autant plus rapide et efficace si les difficultés de terrain rencontrées par chaque acteur sont entendues, comprises et accompagnées dans leur globalité vers l'adoption de meilleures pratiques. 

Une volonté européenne de rassembler tous les acteurs 

 L’adoption du Pacte vert et du plan de relance Next Generation EU marquent un virage important. Reste qu'une architecture permettant une implication de tous les acteurs aux niveaux local, national et européen est primordiale.

Construire une économie bas carbone demande en effet un nouveau modèle de gouvernance des activités économiques dans l'Union européenne. Un premier problème concerne la coordination entre les politiques descendantes (de l’Union européenne et nationales) et ascendantes (locales), qui peuvent être très pertinentes pour faire face aux changements environnementaux. Une deuxième question concerne l'équilibre entre les intérêts publics et privés qu'il convient de trouver dans l'établissement des règles, le financement des initiatives, la gestion des projets et la prise de décisions. Car dans le cas contraire, cela favoriserait l'incompréhension voire la rupture de dialogue et, ainsi, mènerait à des tensions économiques et sociales dans les États membres où ces filières sont les plus fragiles. 

Une réponse efficace à ce défi serait l'organisation d'un consensus « corporatiste » entre les acteurs économiques et sociaux ou encore, la création d'agences publiques de recherche et de diffusion des technologies pour développer le savoir-faire requis, en collaboration avec les entreprises et les universités. Sur cette dernière proposition, l'augmentation des certifications permettant une meilleure visibilité auprès des entreprises et du grand public pourrait induire un véritable progrès en la matière (par exemple, la certification Agriculture Biologique d’AFNOR etc.).

Un autre effort à faire est l'amélioration du dialogue et de l'échange d'information entre parlementaires européens et parlementaires nationaux. Si on prend l'exemple de la France, cela se fait rarement dans un cadre officiel. Des initiatives comme la création d'un réseau des parlementaires francophones engagés pour la nature lors du Congrès mondial de la nature émergent cependant. Ces initiatives s’inspirent de pratiques observées dans d'autres pays et qui fonctionnent. L'idée est d'encourager des études d'impact des textes en amont pour voir si les normes imposées par l'Union européenne peuvent être transposées dans les droits nationaux. 

Enfin, ce changement de paradigme entraîne un mouvement qui ne se contente plus seulement de réduire notre empreinte sur la nature, mais aussi d'intégrer directement dans les modèles économiques la gestion des ressources naturelles. Ainsi, l'arrivée du Green Budgeting au Parlement français a pour ambition d’évaluer l’impact environnemental des choix budgétaires tant au niveau législatif qu'au niveau gouvernemental. Cette méthode implique le développement d’outils robustes et le renforcement des études d’impact pour les mesures nouvelles. Reste à poursuivre les efforts pour faire converger les forces.

Pacte vert et biodiversité, le cas de la Politique agricole commune

Le premier rapport sur le suivi et l’évaluation de la Politique agricole commune (PAC) pour la période 2014-2020 a été présenté au Parlement européen et au Conseil en 2018. D'après ce rapport, la PAC contribue à la gestion durable des ressources naturelles et des mesures en matière de lutte contre le changement climatique. Or, lorsqu'on prend connaissance des pourcentages de la superficie agricole utilisée (SAU) au regard des mesures de développement rural, on constate que les contrats soutenant la biodiversité et/ou la préservation des paysages couvrent 13 % de la SAU, ceux visant à améliorer la gestion de l’eau couvrent 9 % de la SAU, ceux visant à améliorer la gestion des sols et/ou empêcher l’érosion des sols couvrent 9 % de la SAU et les contrats visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et/ou les émissions d’ammoniac couvrent 1 % de la SAU. En outre, 7 % de la SAU est consacrée à l’agriculture biologique. Cela signifie que jusqu'à 87 % de la SAU pourrait ne pas être concernée par les incitations à l'effort en matière d'environnement.  Des efforts importants restent donc à faire et lors de la prochaine PAC, il sera  impératif que l'ambition idéologique portée par le Pacte Vert y trouve son écho. Or, notons d’ores et déjà un décalage à ce niveau. Alors que le premier rapport de suivi et d'évaluation de la PAC se félicite de voir les dépenses de chaque État-membre multipliées par deux, et donc aller au-delà des objectifs attendus concernant les dépenses liées aux problèmes environnementaux, celles-ci peuvent n'être que des dépenses superficielles et insuffisantes. Les causes réelles ne sont pas assez prises en compte. Les dépenses sont de plus en plus volumineuses au fur et à mesure de la multiplication des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique et/ou à une mauvaise gestion des espaces naturels. Ainsi, sur la période 2014-2020, les 26% de la PAC consacrés à des actions liées au changement climatique ne doivent pas faire oublier que quantité ne signifie pas qualité.

En effet, malgré les moyens financiers mis en oeuvre, la biodiversité continue d’être impactée, y compris depuis 2014, en particulier dans les habitats agricoles et, dans une moindre mesure, dans les forêts, comme  le  montrent  un certain  nombre  d'indicateurs  de  la  biodiversité  (par  exemple  l'état  de conservation des habitats et des espèces visés par les Directives sur la Nature et les tendances de la population de papillons de prairies et d’oiseaux des champs). Au cours des dernières décennies, ces baisses ont été principalement dues aux effets de la spécialisation et de l’intensification de la gestion agricole et forestière, bien que dans certaines régions l’abandon des systèmes de production à haute valeur naturelle ait été la cause principale.

La PAC joue un rôle important en contribuant à l'objectif de l'UE en matière de biodiversité, par son influence sur l'agriculture, les forêts et les autres terres boisées, mais aussi en termes de financement de mesures environnementales, y compris celles visant à conserver la biodiversité.

Il est donc attendu que la future PAC qui s'appliquera pour la période 2023-2027 embrasse l'esprit du Pacte Vert afin que la construction européenne reste cohérente dans la poursuite de son voyage vers la transition écologique.

La diffusion et l’acceptation des normes européennes sur la scène internationale 

Dans le cadre du Pacte Vert, l'UE s'est fixé l'objectif contraignant de parvenir à la neutralité climatique d'ici à 2050. De ces objectifs découlent un paquet de douze propositions législatives appelé « Ajustement à l'objectif 55 » ou « Fit for 55 » dont le nom s'inspire de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % au moins en 2030 par rapport à 1990. Ce paquet confirme l’intention de la Commission européenne de placer l’Europe à l’avant-garde du combat climatique. L'une des propositions de la Commission est d'instaurer un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Cet outil permet d’éviter les délocalisations d’activités vers des pays n’ayant pas les mêmes ambitions de limitation des émissions, dans un cadre compatible avec les règles du commerce international et en transparence avec les pays partenaires de l’Union. 

En effet, depuis le 18 avril 1951 avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), les enjeux énergétiques font directement écho aux enjeux géopolitiques. La priorité est alors de reconstruire les infrastructures dévastées par la guerre (transport, énergie, télécommunications), et de mettre au niveau de la concurrence internationale les entreprises du charbon et de l’acier, considérées alors comme les moteurs de l’économie. Depuis, un effort constant est fait et dans son rapport consacré à l'année 2020, Bloomberg Green, qui analyse chaque année l’évolution du mix énergétique européen, a annoncé que pour la première fois de l’Histoire, la production d’électricité « verte » occupe la première place du mix énergétique de l’Europe, avec un total de 38 % pour l’éolien, l’hydraulique et le solaire. Puissance avec une aura volontariste sur les questions du développement durable, l'Union européenne était présente du 1er au 12 novembre 2021 à Glasgow où s'est déroulée la COP26. Or, pour la première fois dans l'Histoire d'un tel sommet, les énergies fossiles ont été pointées du doigt alors qu'elles sont pourtant les principales responsables de changement climatique. L'accord de Paris de 2015 ne contient en effet ni les mots « charbon », ni « pétrole », ni « gaz », ni même « énergies fossiles ». De plus, la Commission européenne a indiqué que le Pacte de Glasgow respecte les objectifs de l'accord de Paris de 2015, qui vise à limiter le réchauffement de la planète en deçà de +2 °C par rapport à l'ère industrielle, si possible +1,5 °C. Cependant, il semble que l'Union européenne compte avant tout sur une diplomatie continue et non ponctuelle pour inciter à une transition énergétique et écologique à l'international. 

Et pour cause, la route est encore longue pour répondre aux attentes des plus exigeants mais des progrès comme ceux cités plus haut peuvent être observés. C'est sur ce constat que la responsabilité de mener le combat climatique européen incombe à la France au premier semestre 2022. Si elle sait exploiter toutes les forces diplomatiques en présence, elle contribuera à multiplier les nœuds d'un réseau capable de connecter et de convaincre même les acteurs les plus réticents sur le long-terme.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que leurs auteurs. Anne-Frantz Dollin, Caroline Etienne, Theodoros Karathanasis et Romaric Nazon sont Fellows de l'Institut Open Diplomacy.